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  • 27 octobre 2012 /
    Gerald Guibaud
    We Are Unique, totalement unique (Part Two)

    réalisée par gdo

(précédemment)

Question plus perso, que serait la vie de Gerald sans Unique ?

— Je serais sûrement moins fatigué. J’aurais plus de temps pour moi, pour sortir, aller au cinéma, à des concerts, partir en vacances…et surtout, je profiterais encore plus de ma compagne et de mon premier fils qui est né il y a un an et demi ! Mais il me manquerait sûrement quelque chose, la musique est tellement importante pour moi ! Ce label est vraiment pour moi une façon de faire quelque chose de constructif dans ce monde, de laisser une trace en quelque sorte.

Où en est ton association ?

— Comme toutes les associations culturelles sans salariat... Il faudrait que je réécrives les statuts, et j’ai encore mon bilan comptable de 2011 à finir…on a pas mal de dettes actuellement à éponger, si une des prochaines sorties pouvaient marcher un peu ça nous ferait du bien…où si d’autres personnes voulaient bien nous soutenir en devenant membres bienfaiteurs….

Tu n’as pas eu peur de perdre ton identité en changeant le nom du label ?

— Cette histoire de nom, c’est quand même con. Quand on a choisit ce nom, Unique Records en 2001, on trouvait ça tellement bien qu’on a même pas pensé à faire une recherche d’antériorité…si on l’avait fait on aurait vu qu’un label allemand l’utilisait déjà depuis longtemps et on l’aurait changé dès le début ! Au final, je trouve que We Are Unique ! ça sonne mieux, c’est vraiment plus original et plus personnel que Unique tout court. Encore pas mal de gens nous appellent Unique pour faire court, mais à force ça commence à rentrer. C’est We Are Unique ! et le point d’exclamation compte beaucoup, il ne faut pas l’oublier aussi.

Tu as été le premier avec Talitres à envoyer des disques au patron d’ADA. Pour WAUR le réseau des webzines a t’il été important voir vital ?

— Nous avons toujours accordé autant d’importance aux webzines qu’aux magazines de presse spécialisée. Nous avons grandit avec les fanzines papiers et pour nous les webzines en sont les descendants. Les fanzines et les webzines ont été les premiers à accorder de l’intérêt à nos productions, et cela nous a vraiment aidé dans notre développement, pour nous faire connaître des disquaires, des distributeurs, des programmateurs…etc. Et ça nous ne l’oublierons jamais. Il faut aussi ajouter que les webzines ont souvent plus de liberté qu’un magazine papier, ce qui leur permet de vraiment aller au fond des choses. Ils touchent peut-être moins de monde, mais leur contenu est souvent bien plus intéressant. Par exemple, quel magazine aurait osé faire un tel interview que celui-ci avec un label comme le nôtre ? Pas beaucoup malheureusement !

Faire face - calligraphie et photo par Emma Viguier

Une question qui me taraude depuis le début du label peux tu me dire le pourquoi du logo ?

— J’ai choisi l’atome comme logo car je suis physicien et le nom unique renvoyait au fait que nous sommes uniques en tant que personne avec un ADN et une personnalité qui n’appartient qu’à nous (ce n’est pas unique dans le sens nous sommes les meilleurs nous sommes uniques et on se la pète). Pour moi l’unicité de la matière dépend des atomes qui la composent. Ce qui différencie les éléments entre eux, c’est juste le nombre d’électrons qui gravitent autour du noyau de l’atome. Je trouvais donc ce symbole physique simple et fort à la fois, c’est pour cela que je l’ai choisi ! Si tu pousses l’analyse plus loin, l’atome représenté a 4 orbitales et 4 électrons, il s’agit donc de l’élément Béryllium….

Pour éclairer sur le fonctionnement d’un label comme WAUR à combien presses tu une sortie ?

— Comme je te le disais précédemment cela varie, mais en général pour une sortie en rayon on commence par en faire 1000 exemplaires, et si on épuise le stock et qu’il y a encore de le demande on fait des réassorts par tranches 500 exemplaires de plus. Cela nous revient plus cher que si on en faisait 2000 du premier coup, mais je ne supporte plus de voir autant de disques croupir dans ma cave, donc on fait comme ça pour ne pas avoir trop de stock sur les bras, et de toute façon il faut qu’on arrête de trop produire sur cette planète si on veut préserver encore un peu ses ressources naturelles.

Au cours de ces dix ans es tu passé à côté d’une sortie qui aurait pu devenir la plus grosse vente d’Unique ? D ‘ailleurs quel est l’album le plus vendu du catalogue ?

— Il n’y a aucun artiste que nous aurions voulu signer qui n’ait pas signé chez nous, donc pas de regret de ce côté là. Je pense que l’album le plus vendu du catalogue doit être Oulipo Saliva d’Angil, vu que Chemikal a du en vendre quelques uns dans le monde (même si on sait qu’ils en ont peu vendu) mais on ne sait pas les chiffres exacts. En France aussi je ne sais jamais exactement les ventes car sur un stock pressé, il y a tellement de promos que l’on donne ou offre, qu’au final les ventes réelles sont difficiles à évaluer avec précision. Je dirais que pour ce disque on a du en vendre 1500 en France, et avec le ventes Chemikal on a du sans doute dépasser les 2000 pièces.

Comment expliques tu la longévité de WAUR qui est né en plein pendant l’émergence d’internet et de la crise du disque.

— Je ne sais pas. Notre motivation est sûrement une des clés, nous ne sommes pas des gens qui baissent les bras comme ça. Je pense aussi que nous prenons toujours autant de plaisir à découvrir et sortir de nouveaux albums, même si les chiffres de ventes ne sont plus au rendez vous. Comme je le disais plus haut, le support aussi de nos membres bienfaiteurs est vital depuis 3 ans, sans eux le label aurait eu énormément de mal à s’en sortir. C’est pourquoi j’invite les gens qui apprécient notre démarche et nos disques à nous soutenir et nous permettre de continuer cette aventure en devenant membres bienfaiteurs du label.

Est ce maintenant réellement une nécessité d’être dans les bacs d’une grande enseigne comme la F..C ?

— Oui je pense que ça aura toujours de l’intérêt tant que ces enseignes proposeront des disques dans les bacs. Il ne faut pas baisser les bras et ne laisser la place qu’aux productions de majors les plus commerciales et les plus vendeuses, même s’il est vrai que les directions de ces enseignes ne font vraiment pas beaucoup d’effort pour aider les distributeurs et les labels indépendants. Mais dans ces enseignes, il y a encore souvent en bout de chaine un ou des disquaires responsables de rayons passionnés qui tentent de bien faire leur travail, malgré la réduction des espaces accordés aux indés, ils mettent nos disques en écoute, ils conseillent les clients, et souvent permettent de faire des ventes salutaires pour toute la chaîne distributeur/label/artiste indépendants. Rien que pour ces passionnés, oui cela a du sens de continuer à travailler avec ces enseignes.

Quand on suit l’histoire de WAUR, on constate que ta démarche est proche du militantisme.

— Tout a fait. Comme je l’ai déjà dit ailleurs, nous voulions prouver qu’en France aussi on sait produire des disques indies, et j’aimerais tant qu’il y ait dans ce pays des labels aussi reconnus et implantés que peuvent l’être dans les pays anglo-saxons les Matador, Domino, Sub pop, Constellation et autres…Proposer des alternatives à la pensée dominante, aider des artistes français que personne d’autre ne veut produire, défendre une certaine idée de notre artisanat, c’est vraiment notre leitmotiv.

Tu l’imagines comment ton label dans 10 ans ?

— J’espère surtout qu’on sera tous encore là, et que nous aurons dépassé les 50 références ! Et qu’on travaillera sur la production du 2ème album du We Are Unique ! Ensemble !!!

(© Fabrice Panjolles)

Entre le travail, la famille et le reste, comment parviens tu à mener la gestion du label de front ?

— C’est très dur, notamment depuis la naissance de mon premier enfant. Les nuits sont souvent courtes. Je me lève vers 7h, je travaille de 8h à 19h, ensuite j’enchaine avec la vie de famille, et je me remets souvent à traiter les activités du label le soir entre 22h et 1h du matin…J’ai parfois l’impression de faire ou tenter de faire 2 journées de travail en une, mais ce n’est pas super efficace vu qu’il n’y a que 24 heures dans une journée, et qu’en dessous de 5h de sommeil par nuit, je ne tiens plus la route. Les weekends, les vacances, souvent sont consacrés au label, donc oui c’est beaucoup de sacrifices. J’aimerais bien pouvoir déléguer plus, si l’on pouvait trouver des jeunes motivés pour nous aider, ce serait génial. Je n’ai jamais fait appel à de stagiaires par exemple, vu que nous n’avons malheureusement pas de local, et c’est bien dommage car cela serait d’une grande aide !

Que penses tu de la mode très onéreuse de la réédition avec la remasterisation…. ? tu penses rééditer le back catalogue d’Unique ou tu vis avant tout au présent ?

— Si l’on devrait rééditer une partie de notre catalogue, ce serait en vinyle ! Car je suis vraiment un passionné de ce format, lorsque j’ai le choix, je choisis toujours la version vinyle. Si nous avions plus de moyens financiers, nous sortirions nos disques aussi en vinyle, malheureusement un pressage vinyle c’est encore très cher et nous ne pouvons pas nous le permettre. Je trouve dans l’ensemble que cette mode « retro » est une bonne chose, si des jeunes reviennent vers l’objet disque à travers le retour du vinyle, je pense que ce ne sera que bénéfique pour la survie de nos activités. Car le numérique n’est pas et ne sera jamais l’eldorado annoncé pour les labels. Cela rapporte vraiment trop peu au label, et surtout le streaming qui est une véritable blague ! Des dizaines de milliers d’écoute ne rapporte qu’une petite centaine d’euros, ce n’est pas avec ça que tu peux financer la sortie d’un album…

Comment est arrivée cette idée des membres bienfaiteurs ?

— J’ai un peu participé il y a quelques années au développement des AMAPs (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne) sur Toulouse. J’ai fait le rapprochement entre notre situation et celle des agriculteurs : nous sommes tous de petits producteurs, de petits artisans qui essayent de survivre. Et le concept des AMAPs a vraiment permis de sauver de nombreux agriculteurs, et aussi de permettre le développement du bio, de sensibiliser les consommateurs à une consommation locale, de saison, raisonnée. J’ai donc décidé de lancer cette offre en 2009 : pour 40 euros (45 désormais) par an, vous receviez chacune de productions que ferait le label dans l’année plus d’autres bonus (places de concert, mp3…). Une bonne centaine de gens ont soutenu cette idée. Cela permet surtout à notre label de bénéficier en début d’année d’un peu plus de trésorerie pour finaliser les sorties, car il est toujours très difficile et très long pour un label de récupérer de l’argent sur ses sorties précédentes, auprès de ses différents distributeurs, il y a en plus les retours des invendus…bref les rentrées d’argent sont trop aléatoires et sans capital c’est impossible de travailler correctement. Nos membres bienfaiteurs ont permis cela, de stabiliser et pérenniser une partie de notre production de l’année.

Que de l’inédit dans un coffret 4 cds c’est une prouesse, une gage de reconnaissance pour les clients du label. WAUR n’est il pas le meilleur ouvrier de France ?

— Cela serait marrant si l’on faisait chaque année un concours du meilleur label de France ! Tu sais il y a plein d’autres labels français qui sortent des beaux objets et des disques passionnants, qui ne sont pas assez mis en avant comme ils le mériteraient. Regardes les belles séries de vinyle que sort actuellement Monopsone par exemple…Ou je pense aussi à Jarring Effect qui a sorti un coffret énorme pour leur centième référence, à Ici D’ailleurs qui a fait de superbes éditions pour ses 15 ans… là je veux absolument m’acheter le coffret DVD sur les Thugs, qui reste et restera pour moi le meilleur groupe de rock que l’on ait jamais eu en France !

Photo : Brondo / Agence Alénore (http://toulouse.placetobuzz.com/page/7/)

Je me faisais récemment l’écho désabusé de la dernière route du rock en terme de fréquentation. Pour moi le public indé fouineur n’est plus ou uniquement peuplé de quadra. Ne penses tu pas que la profusion des moyens de se procurer de la musique a fini par tuer le désir de se la procurer ?

— Vaste question, on pourrait en parler pendant des heures…Pour la RdR, la fréquentation du festival dépend toujours de la présence ou non de grosse tête d’affiche, et cette année il n’y en avait pas vraiment. C’est vrai que l’arrivée d’internet a permis d’accéder à une source infinie de musique, d’artistes. Les gens croulent sous les données, les sollicitations en tout genre et au final ils ne savent plus ou donner de la tête ! Effectivement le fait de savoir que tout est accessible à tout moment, souvent même sans avoir à débourser un centime (à part son abonnement internet) a probablement étiolé le désir de vraiment posséder un disque. Lorsque nous étions jeunes, on attendait le nouvel album d’un artiste qu’on aimait avec tant d’impatience et quand il sortait on était ravi de pouvoir enfin l’acheter pour l’écouter et en profiter ! Mais nous ne pouvons rien y faire, nous ne pouvons plus revenir en arrière, et lutter contre cette évolution des mœurs. Mais si les labels disparaissent il y aura moins de nouveauté, moins de contenu sur internet pour le public. C’est pour cela que je suis favorable à une licence globale que l’on redistribuerait de façon équitable à tous les producteurs. En ce sens, l’arrêt du projet de CNM (Centre National pour la Musique) par le nouveau gouvernement est une erreur (même si je reste lucide sur le fait que les petits labels comme le notre n’auraient pas été parmi les plus aidés par le CNM). Les labels de musique demandent juste que soit redirigée une partie de la taxe sur les FAI vers la musique, alors qu’actuellement elle ne bénéficie qu’au cinéma via le CNC. Comme si seulement des films étaient téléchargés illégalement ! J’espère que le gouvernement Hollande reviendra sur cette décision, car sinon il est fort probable qu’il y ait dans notre pays de moins en moins de label comme le nôtre dans les années à venir.

Le mot de la fin est pour toi

— Résister



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