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Clairement un nouveau disque de folle dans le grenier. Une catégorie tout à fait noble et qui compte des réussites intimidantes, de Patty Waters à Stina Nordenstam et Arlt, en passant même par les étourderies de Christina Carter. Celui-ci présente étrangement l’histoire à rebours : on ouvre la porte du disque sur une pièce où se déroule une scène complètement effrayante ; des larsens et des micros triturés en guise de lit sonore d’une voix qui nous interpelle : ’How long is the night ? / How long is one night ?’. On y projette les images de papier peint arraché, de lattes qui craquent et de l’éternel rocking-chair qui grince.

C’est une manière courageuse de commencer un disque : on écarte d’emblée les moins valeureux en les confrontant directement à ce qu’il y a de plus sauvage et de potentiellement hermétique dans le dispositif mis en place par Annie Lewandowski, confinée à l’intérieur cet espace exigu.

Et puis après, comme il s’agit d’un disque de folle dans un grenier moderne, on y remonte le temps au fur et à mesure des chansons qui défilent. Comme pour expliquer la bizarrerie de cette première impression. Comme dans un de ces films qui commencent par la fin pour que le reste de l’histoire soit vu avec un éclairage averti sur l’issue fatale. On nous prévient et on nous prend à partie à la fois. Et même si les autres chansons avaient toutes été empreintes de la folie de cette scène d’ouverture, le disque aurait tout de même été réussi. Dans son genre. Dommage, mais réussi. Parce que bien qu’effrayante, la scène est belle.

Plus on avance, plus la lumière se fait et plus on est récompensés. Au milieu de l’écoute, l’enchaînement de deux chansons magistrales (’Love Walked in’ et ’California’) nous transportent à un moment où tout allait encore bien. C’est la partie du film où l’on découvre le personnage d’avant la rupture, sa candeur et ses tâches de rousseur. Il y a de temps en temps, entre deux chansons ou dans une conclusion, des sauts en avant vers le présent plus sombre, pour permettre la comparaison.

Ce qui est formidable dans « Do You Burn ? », c’est qu’Annie Lewandowski n’a pas oublié d’écrire des chansons ou, dans l’absence de structures, des mélodies vocales. On pourrait, si l’on tenait vraiment à forger un appât à snob, mettre en avant le fait qu’elle et ses musiciens n’utilisent que des instruments acoustiques, au rendu étrange (on y entend du violon pizzicato, des pianos joués comme des batteries, des mains qui claquent, une guitare accordée bizarrement, des percussions utilisées en guise d’instrument principal, des boîtes à musique fragile...). Mais ils ont eu le bon goût de s’arranger pour que finalement, on s’en fiche complètement.

Sûrement parce que là aussi, le processus s’est construit à rebours. Au lieu de fédérer autour d’elle des amis musiciens et de tailler des « moments-chansons » dans la roche brute de leurs sessions expérimentales (comme c’était de coutume à l’époque moderne), Annie s’est d’abord amusée à composer ses chansons seule avant de les proposer à d’autres (John Dieterich de Deerhoof et Thomas Bonvallet de L’Occelle Mare) comme un matériau. La substance brute avait donc déjà été dégrossie en chansons avant que l’excès de complaisance ne les rattrape.

L’ensemble rappelle Nina Nasatasia en moins américaine, Psapp en moins naïf, Stina Nordenstam en moins petite fille, Juana Molina en moins machinique, Nico en moins marquée.

Pour toutes les choses qui ne tournent pas rond dans ce disque (ce n’est pas à prendre péjorativement, il s’agit de beaux effets de balancier déréglés et imprévisibles), il y a la voix d’Annie Lewandowski qui en plus de mener la barque mélodique (un peu à la manière de Laetitia Sadier dans ses albums solos), sait être rigoureuse et douce à la fois. Jamais on ne la donnerait pour folle dans ces moments-là.

C’est encore une histoire de recluse dans le grenier, mais cette fois on n’a pas oublié de rendre les choses belles et bien réalisées, sans apitoiement ou exagération esthétique. Même les cris et les grincements sont beaux. Dans cette histoire, on ne la cache pas du tout là-haut par honte, mais plutôt parce qu’on sait que la contrainte de la musique de folle dans le grenier peut être sacrément belle quand elle est réinventée et réfléchie. Vous vérifierez d’ailleurs que dans tous les livres qui utilisent le sujet, la folle ne l’est pas vraiment : elle est juste un peu trop sûre de savoir ce qu’elle veut. Et "Do You Burn ?" est un beau disque déterminé.




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