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Treizième album studio des Flaming Lips, The Terror est présenté par le chanteur Wayne Coyne comme le plus sombre et peut-être le meilleur. J’ajouterais : le plus émouvant.

Les chansons "You lust" ou "Turning violent" évoquent immédiatement, dans leur identité sonore, un autre album considéré comme délibérément sombre par ses auteurs : le Monster de REM. Et pour cause : au même titre que ce dernier était un hommage à un grand musicien disparu (Kurt Cobain), The Terror est un hommage à Steven Drozd, un autre musicien, instrumentiste et compositeur au talent immense, qui aurait bien pu y passer lui aussi.

Depuis son arrivée dans les Flaming Lips, Drozd est l’homme à tout faire. Celui qui fait en une heure les parties que les autres mettraient une demi-journée à faire. Un batteur et un choriste exceptionnel. Et aussi, un junkie. Pourtant, derrière l’image sulfureuse de groupe de drogués qu’ont toujours cultivé avec humour Wayne Coyne et ses acolytes, il y avait une réalité sobre : Coyne n’a pas touché le moindre joint depuis son adolescence ; ses paroles, souvent assimilables à du prosélytisme pro-LSD, ne sont qu’un jeu de leur auteur avec les codes habituels du rock psychédélique. Oui oui, c’est post moderne.

The Flaming Lips sont bien la version la plus méritante de notre époque de l’équation qui fit des Beatles l’alpha et l’oméga de la pop des 60 années suivantes : la formule "Oui, mais." Quelle que soit votre théorie sur les Beatles, leur force inépuisable réside dans le fait qu’on peut toujours y opposer un contre-argument (par exemple : le conflit Lennon/McCartney, oui mais leur complémentarité. La complémentarité, oui mais Harrison). Chez les Lips, la même formule s’applique impeccablement. Idées géniales de Coyne, oui mais exécutions magnifiques de Drozd. Travail de studio toujours ultra poussé, oui mais spectacle scénique inoubliable (parfois aux dépens de la performance musicale, il faut l’avouer). Discours déceptif sur les drogues, oui mais... Steven Drozd.

Contrairement à Coyne, Drozd est dedans, sans faire semblant. Au-delà de la fin du groupe, c’est sa propre fin qu’a failli entraîner sa dépendance à l’héroïne. Ce pourrait être un détail biographique sans grand impact sur le contenu de cet album, mais chez les Flaming Lips, la biographie est le cinquième membre. De nombreux aspects de leur musique, de leur brillance, sont explicables par leur vie, leur appartenance géographique (fidèle à Oklahoma City), leurs histoires familiales respectives. Il faut voir le documentaire The Fearless Freaks [http://vimeo.com/17461610] pour le comprendre.

La base de travail de The Terror est donc la drogue. L’enfermement de Steven Drozd, au faîte de sa dépendance, dans un studio isolé pour y enregistrer des pistes musicales terrifiantes, où le musicien exprimait quelque chose d’indicible, d’impossible. Une Terreur à laquelle lui seul avait accès, malheureusement. Mais les Lips sont un groupe résilient : de ce terreau cauchemardesque, les trois autres membres ont tiré un chef d’oeuvre, décidant de mettre en musique certains fragments de ces enregistrements effrayants. J’espère que l’expression n’est pas galvaudée : elle est à prendre ici au sens propre. The Terror est le chef d’une oeuvre déjà bien remplie (At War with the Mystics, Soft Bulletin), et Coyne mérite bel et bien le prix Nobel de la Paix. Au moins celle de l’âme.

Signe ultime de la qualité du disque : c’est à Broadcast que l’on pense à l’écoute du morceau titre. Et à bien y réfléchir, c’est au fantôme de Trish Keenan qu’on a le sentiment d’entendre Drozd s’exprimer tout au long de l’album, à travers ses litanies transformées en chansons par ses camarades. Des chansons pour des fantômes, des fantasmes, des ombres. Et aussi pour nous, parce que les Flaming Lips sont généreux.




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