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Dans la chanson française, la délicatesse n’est pas chose aisée. Un rien et les meilleures intentions du monde virent au niais ou au superflu. D’où le cynisme comme forme de protection. Pourtant, de Dominique A. (celui des débuts) à Chamfort, de Sylvain Vanot à Coralie Clément, nombreux sont les artistes à s’être protégés de toutes marques condescendantes afin d’atteindre un certain idéal de pureté, une harmonie qui tient lieu de félicité. Incontestablement, Praha se range dans cette catégorie, celle des doux sensibles qui n’hésitent guère à mettre en mots et en musiques les élans passionnés comme la bonté du cœur. Ne pourtant pas voir en Praha (alias Arnaud Robinet) un rêveur insouciant.

Il s’agit simplement d’avoir le courage d’agripper certains bonheurs qui importent dans une vie d’adulte (mais qui sont très difficiles à exprimer en musique, un obstacle que Praha contourne avec beaucoup d’élégance et de lucidité) : « Sentinelle du Soir » où la chanson que nous aimerions pouvoir écrire afin de l’offrir à notre amoureuse ; « Délicieux Sortilège », un instantané sur la possibilité d’une romance éternelle ; « Te Souviens-tu ? », lorsque du passé il ne reste que les tendres moments…

Peut-être pas un hasard si certaines chansons issues de « Horizons Amovibles » se conjuguent à l’imparfait : il y a chez Arnaud Robinet moins de nostalgie qu’une conscience très aigue du paradis perdu et qui pourrait bien ne jamais revenir. D’où, même lorsqu’il chante sa propre conception de l’harmonie, une mélancolie en creux, un chagrin amer. Cela tient à la voix d’Arnaud (qui n’est pas sans évoquer le Dominique A. de « La Mémoire Neuve »), une voix réconfortante, douce, mais également fragile, blessée, toujours à la limite d’une fissure imminente. Une voix amicale, qui parle d’égal à égal. Cela passe également par la sophistication toute en retenue des arrangements et de la production : guitares, banjo, violons et synthés dessinent les contours d’une accalmie en temps de guerre, d’un havre de paix pas loin de s’effondrer (une façon de chanceler qui rappelle le « Paris 1919 » de John Cale) – superbe travail de Claude Salmiéri et Michel Deshays.

Aborder en chansons les mirages du bonheur, sans ironie ni facticité, pourrait, comme sur l’album de Praha, ne dépendre que d’un seul impératif : ne pas oublier que le paisible n’est bien souvent qu’un instant volé à l’existence, un court-métrage dont il est malheureusement possible d’en définir le clap de fin, un songe qui ne s’éternisera pas. Saisir le plaisir harmonieux, pour Arnaud Robinet, consiste à fatalement teinter celui-ci d’un état d’esprit pas loin des jeunes gens perdus d’avance, des doux romantiques profitant jusqu’à plus soif de l’élévation amoureuse car ils savent bien qu’un rien pourrait faire basculer la tendance et ramener vers les terribles considérations du quotidien. C’est finalement ce non-dit qui émeut beaucoup dans « Horizons Amovibles » : chanter la délicatesse pour essayer d’oublier qu’au-delà, il n’y a rien à gagner.

Une façon intelligente de contourner le nihilisme de rigueur sans ne jamais perdre de sa lucidité…




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