Il y a des moments qui vous marquent comme cette discussion en début d’année 2012 sur Facebook ou Richard Robert me glisse à l’oreille le nom d’Orso Jesenska. Aprés une recherche rapide sur le net, je tombe sur son Bandcamp, je lance le player et au fur et à mesure que je découvre les titres, je prends conscience du choc musical que je rencontre là...
Je suis face à un univers singulier comme on en rencontre peu souvent, un univers qui convoque à la fois les guitares d’Henri Crolla et la mélancolie de Milton Nascimento... C’est un choc comme j’en ai peu connu, l’impression de voir surgir un artiste d’exception, comme la naissance d’un enfant,la certitude de vivre un événement que l’on n’oubliera pas.
Il y a aussi la singularité de ces textes, poétiques et évocateurs, avec parfois des références à Henri Callet ou aux Trois Ombres de Cyril Pedrosa, avec cette langue pudique et jamais frontale certainement à l’image de l’artiste... Comment ne pas être bouleversé par la poésie du quotidien de "Gestes de vie" ou de la belle "Agrigente" disponible sur la compilation ADA 29...
Comme j’ai contribué modestement au projet d’Orso Jesenska par la création de quatre vidéos, j’ai préféré laisser la parole à d’autres pour s’exprimer sur le travail d’Orso Jesenska mais aussi sur l’homme
Commençons par Stéphane Merveille. Stéphane Merveille est photographe, il est d’ailleurs l’auteur de la pochette de l’album d’Orso. Vous connaissez sûrement son travail pour la collection Fragments de Monopsone ou la pochette du dernier Erik Arnaud. C’est également un collaborateur régulier de Bertrand Betsch. Voici les mots de cet homme d’image :
"Ma première rencontre avec Orso Jesenska remonte à fin 2011, et c’était avec sa musique ce jour là. Une très grosse claque. De celles qu’on n’oublie pas. Il y avait bien longtemps que je n’avais été touché à ce point par un disque. La seconde remonte au 28 décembre 2012 et c’était avec l’homme qui se cache derrière ce pseudo énigmatique, Julien, que j’avais rendez-vous cette fois ci pour une séance photos. A 18h30 en plein hiver nous nous sommes mis en quête d’un peu de lumière pour réaliser les quelques clichés que son label 3:50 destinait à la presse. Sous un réverbère, sous les néons d’un parking automobile ou bien dans les locaux d’une agence de com, Julien capta aussi bien le peu de lumière à notre disposition que sa musique l’attention. C’est ce jour là d’ailleurs qu’il m’a demandé de réaliser l’artwork d’Un Courage Inutile je crois. Un très grand honneur, une très grande fierté. Oui des fois il est des rencontres qui marquent, de celles que l’on n’oublie pas."
Bertrand Bestch, auteur-compositeur et écrivain, est des proches d’Orso Jesenska. Vous vous rappelez certainement de "La Soupe à la grimace" sorti sur Lithium en 1997 et des albums qui suivirent comme "Le temps qu’il faut" en 2011. On peut d’ailleurs trouver des territoires communs dans les deux univers amis, peut-être dans la coloration mélancolique des textes. Mais je laisse la parole à Bertrand :
Plonger les oreilles dans le "Courage Inutile" d’Orso Jesenska est une expérience peu commune. Des mélodies fiévreuses, des orchestrations frémissantes, une voix nue, des mots rares (goutte à goutte du bout des lèvres), des perles précieuses, des morceaux tremblés, à peine esquissés que déjà finissant. Une fragilité patente, mais assumée, voire revendiquée. Pas de maladresses. Plutôt une infinie délicatesse. Des chansons comme venues des songes. Difficile de rapprocher cette musique fébrile de quoi que ce soit. On peut éventuellement convoquer le fameux mini-album de Post Data qui a fait date il y a quelques années déjà de cela. Même concision et mêmes bouffées d’émotions à chaque écoute. Ils sont rares ces artistes qui en quelques mots et quelques notes vous font monter les larmes aux paupières. Aucune prétention mais des instants arrachés au silence, célébrant tous ces "lendemains de jours sans fête" qui font une vie d’homme. Aucune certitude, à part celle de voir les choses s’évanouir inexorablement et d’en prendre acte. Aucune pesanteur. La triste légèreté de se sentir démuni de tout, avec pour seul bagage de la tendresse et le courage têtu de reconnaître à "nos ennemis de nous avoir donné de nos défaites la fierté". Cet album est bref mais il est immense par sa sensibilité et sa fraicheur. Ce qu’on appelle l’Enfance de l’art.
Est-il encore nécessaire de présenter Christian Quermalet ? Collaborateur de Yann Tiersen,de Fabio Viscogliosi,des Marquises et membre du meilleur groupe français en exercice, The Married Monk.D’ailleurs mon petit doigt me dit que l’on devrait avoir bientôt des nouvelles du groupe. Au tour de Christian de s’exprimer :
Il y a des chansons qui vous marquent à jamais... Nous sommes le 4 Décembre 2012 en milieu de soirée. Julien viens de m’envoyer les pistes de "L’ennui".
Je me retrouve donc avec ce joyau dans les mains sans vraiment trop savoir quoi y apporter de plus tant la chose est aboutie. Je cherche, je triture, j’ai beau retourner la chanson dans tous les sens mais rien n’y fait. Il flotte dans l’air comme une odeur de résignation : C’est décidé, je contacterai Julien et lui dirai "que "l’Ennui" vole de ses propres ailes, ", somptueux objet musical qu’il est. Enorme frustration car le texte et la mélodie me bouleversent . Moi qui rêvais tant de "communier" avec ce fantastique opus. La nuit passe... Le lendemain matin je sors acheter des cigarettes.
Soudain, coup de théâtre : je reçois sur mon téléphone, la déclaration passionnée d’une amie polonaise rencontrée quelque temps auparavant. Les choses vont alors trés vite. Je rentre chez moi à la hâte et me remets au travail.
Je sens que des ailes me poussent..Le "job" se fait tout seul. Je parviens, rempli d’émotion, à terminer mes arrangements.. Elle était là, ma muse inespérée.
Je suis à genoux devant toutes les chansons de Julien mais je dois admettre que cet "Ennui" gardera longtemps une saveur trés particulière. Ma Lovesong 2012...
Enfin il y a Richard Robert qui fit rentrer la musique d’Orso Jesenska dans ma vie... Comme sans doute certains d’entre vous, Richard fut pour moi un passeur de belles choses musicales tant du temps de sa participation aux Inrockuptibles que désormais avec L’Oreille Absolue. En plus de son travail de critique et de son rôle dans l’excellent festival de Lyon "Les Nuits de Fourvière", Richard est aussi musicien, il a d’ailleurs travaillé plusieurs fois avec Orso Jesenska. Voici donc ses impressions sur l’artiste :
Dans "A propos du roman", Paul Gadenne écrit ceci : « Si quelqu’un a fait un geste, je veux savoir comment le monde, et ses rapports avec le monde, sont entrés dans son geste ; comment ce lieu, cette heure, ce paysage, ce coin de rue ou ce coin de ciel ont marqué son acte… ».
Il est un art de la chanson qui, avec une modestie doublée de la plus haute exigence, rejoint cette préoccupation ; c’est l’art que pratique Orso Jesenska. Je l’ai découvert il y a quelques années, via l’une de ces flâneries hasardeuses qu’autorisait MySpace, du temps où il n’était pas encore un gigantesque cimetière virtuel. Ce jour-là, j’ai pris "Le Fracas" en pleine figure, et ce fut un choc d’une intensité parfaitement douce et implacable, parfaitement ajustée aux désirs qui peuvent tenailler une conscience aux abois, tapie dans le tiède ennui de ce temps, postée à l’affût des beautés qui, par intermittences, en crèvent l’enveloppe grise. Il y avait cette voix au grain subtilement blanchi, traversé par la vibration d’un lyrisme à hauteur d’homme. Il y avait ce verbe capable de cerner en un tour de phrase l’indicible d’une scène, d’une couleur, d’un relief, d’une ville, d’une ombre – toutes choses subtilisées à la trame confuse du réel, et rendues à l’une de leurs possibles clartés par le prisme d’une subjectivité au travail. Il y avait cette sourde menace dans le hors champ du chant et des mots, dont le chaos mélodieux des instruments retransmettait subtilement l’écho. Il y avait là tout un monde, un monde qui était le nôtre aussi mais que nous n’avions jamais eu la fiévreuse lucidité de voir ni d’imaginer, un monde qui rendait le nôtre meilleur, puisque riche d’autres éclats, d’autres souffles, d’autres formes.
C’est ce monde-là, rééclairé à chaque écoute, que je perçois et entends dans les chansons d’"Un Courage inutile". Le temps, l’énergie et l’esprit me manquent pour entrer plus avant dans sa matière musicale, vive et fluide et changeante comme peut l’être l’onde intérieure d’un homme qui n’a pas renoncé à l’injuste grandeur d’être vivant. Il me reste simplement un peu de cœur pour en chanter la poésie de veilleur, de sentinelle, de témoin sensible, couvant depuis sa fenêtre grande ouverte la fragile immensité du monde, de ses forces et de ses êtres, embrassant l’horizon d’un regard qui, pour faire rempart au cynisme et à la banalité, s’obstine à la bienveillance et au partage.
Dans son essai, Paul Gadenne écrit encore : « Je veux savoir comment le monde, comment la vie, apparaissent à ces êtres que le hasard m’a donnés pour voisins, pour compagnons de route. » Je reconnais Orso Jesenska comme l’un de ces compagnons que la fortune a eu la chic idée de placer sur mon chemin ; et je lui saurai éternellement gré d’étancher et d’exalter tout à la fois cette soif que j’ai de comprendre, à travers des frères comme lui, la vie en désordre qui bruisse alentour.
Que dire aprés de tels mots... Rien... Peut-être vous proposer des images d’un inédit d’Orso Jesenska et laisser les mots vous envahir...
Je ne remercierai jamais assez ces quatre personnes qui se sont prêtées au jeu et ont toutes acceptées avec enthousiasme de s’exprimer sur "Un courage inutile" et son auteur.Il ne vous reste plus qu’à vous procurer cet album pour faire partie des heureux chanceux qui auront connu ce choc humble et salvateur de cette rencontre avec un univers singulier et touchant.
"Un courage est disponible à la vente ici :
http://cd1d.com/fr/artist/orso-jesenska
Pour prolonger l’écoute, la page Bandcamp :
http://orsojesenska.bandcamp.com/album/un-courage-inutile
Le travail photographique de Stéphane Merveille est visible ici :
https://www.facebook.com/stephane.merveille.photographies
L’univers discographique et littéraire de Bertrand Bestch est là :
Les Married Monk et Christian Quermalet sont à retrouver ici :
http://www.icidailleurs.com/index.p...
La musique de Richard Robert et en particulier ses reprises en forme de réappropriation sont à découvrir ici :
http://richardrobert.bandcamp.com/
Merci encore eux pour leur gentillesse et leur patience