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Entre Mikael et Didier, c’est une amitié qui dure depuis plus de 20 ans... Vingt ans qui ont vu défiler ces expériences que nous avons tous vécues, que nous vivrons tous...

L’espoir d’un destin maitrisé, d’une vie dans la lumière puis les premiers écueils, les premiers regards assombris par les désillusions, les premiers renoncements...

Et ces événements qui rythment une vie... Le premier enfant...Le travail qui prend de plus en plus de place...Le champ des priorités absolues qui se déplace...

Il y a un peu de tout cela en chacun de nous, ce qui fait un être humain... Il y a un peu tout cela dans la musique de La Rive... Il y a ce supplément d’humanité chez ces gens-là...

Tout commence il y a plus de vingt ans avec le projet "Christine" où le duo (accompagné de Michael Korchia qui formera par la suite Watoo Watoo) s’essaie à ses premières compositions aux références nineties de l’époque avec un penchant prononcé pour les Boo Radleys, Ride ou House Of Love... En 1992, ils rencontrent les Lollipops qui deviendront par la suite Verone (sur lesquels je reviendrai très vite)...On peut d’ailleurs voir des filiations possibles entre les deux groupes aux univers cousins.

Les accidents de la vie éloigneront les deux membres du groupe de la scène et de la composition... Plus de 10 années...

En 2008, Mikael et Didier décident de relancer leur projet sous le nom de La Rive... Les années ont donc passé, l’énergie adolescente s’est un peu assagie. C’est sous une forme plus apaisée (le fond, lui, n’a pas changé) qu’on retrouve la musique du groupe ... Ils ont cette envie de chanson en langue française, une envie de climats oniriques et lettrés à l’image des beaux textes de Mikael comme une volonté de malaxer la langue pour en faire un rythme singulier...Mikael cite d’ailleurs volontiers Jean de Boschère ou Georges Haldas. Il y a cette soif d’orchestrations soyeuses à la Jean-Claude Vannier, à la Ennio Morricone dans les arrangements de Didier. La Rive, c’est un peu comme l’expression d’un lyrisme pudique où bien des choses se dévoilent dans les non-dits...

En 2011, La Rive présente le projet "Chanson des rives" sous l’influence lexicale de la mer, avec sans doute des réminiscences du recueil "Fendre les flots" de Raymond Queneau comme sur le très beau "La prosodie des fonds marins".

"Escamoter les procédés Attendre la marée contraire

Longer la côte, ne pas sombrer

S’abîmer dans les estuaires"

On pense parfois au lyrisme maîtrisé de Tue-Loup... Du côté de La Rive, la catastrophe est toujours imminente, comme sur le point de jaillir, mais ne vient finalement pas... Nous sommes toujours dans l’anticipation du coup qui ne nous blessera jamais mais dont nous sentons le souffle qui nous glace.

Dans "Chansons des Rives", nous voyons se profiler le "retour au port", celui où on laissera "nos carcasses pourrissantes échouées loin des regards". Certes parfois, dans ces lignes d’horizon floues, on croit reconnaître les traits d’un Manset ou d’un Dominique A...

Mais "la jetée" nous attire et avec elle, "les échos du passé"...

On voit le spectre apaisé, jeune et à nouveau beau, de Gene Tierney qui rejoint Rex Harrison pour partir vers d’autres destins à construire, à la fin de ce chef d’oeuvre absolu qu’est "L’Aventure de Mme Muir" de Joseph L Mankiewicz.

2013 voit la sortie d’un nouveau projet toujours en cours, Drancy... Du nom du tristement célèbre camp d’internement en banlieue parisienne, redevenu depuis un HLM.

C’est avec délicatesse que La Rive traite le sujet en l’abordant sous l’angle du télescopage de deux périodes : celle des années 40 où Drancy fut ce lieu de transit où les enfants de la rafle de Lisieux, entre autres, furent parqués avant leur départ pour Auschwitz, et cet aujourd’hui où ce lieu chargé de maux est redevenu un espace d’habitation... Etrange ironie de l’Histoire...

Ce titre trouve ses racines dans la lecture de la préface écrite par Aragon pour le recueil de Jean Cassou, "Trente trois sonnets composés au secret" où il évoque l’occupation et les camps de concentration situés sur le sol français. "Drancy" ramène également à la mémoire ces témoignages bouleversants de l’époque, ces enfants, ces femmes et ces hommes qui "crèvent" littéralement de faim, "baignant" dans leurs excréments... Dans ce lieu où des gens vivent encore aujourd’hui avec ce symbolique wagon plombé comme seul retour aux années 40.

La tonalité est plus sombre dans ce nouveau projet, fruit d’une désillusion qui rejaillit à la fois sur notre rapport au monde et sur notre espace intime...

Et puis il y a cette merveille absolue, "L’Amour perdu" qui vous hérisse le poil, ou alors vous n’avez rien au centre de la poitrine...

Cette mélodie sépulcrale qui n’est pas sans rappeler l’Angelo Badalamenti de la B.O d’ "Une Histoire Vraie".

"Là dans les murs et sous la pierre errent les ombres aux yeux de fous Elles vivent là jusqu’en nos chairs et viennent rôder comme des loups"

Cette musique est faite de tout ce qui ne nous "laisse aucun répit, ni salut qui -nous- fuit". Elle est comme « le bruit du silence imposant »...

C’est la musique d’une amitié de 20 ans, de deux adolescents devenus adultes, de deux regards sur nous, de deux miroirs de nos petits tracas, de nos petits regrets, de nos quêtes jamais atteintes...

C’est la musique de deux regards qui ont trop fixé les lumières aveuglantes. C’est la musique de deux êtres faillibles, de ces êtres qui assument la vision de leurs failles et les portent fièrement, et les partagent...

C’est la musique de vos deux nouveaux amis pour vingt ans, La Rive.

Pour retrouver La Rive :

http://larive.bandcamp.com/track/drancy

https://www.facebook.com/pages/La-Rive/278357275521011