Dans une brasserie parisienne, longue discussion avec l’incorruptible ODyL. Où il sera question de guitares électriques, de Courtney Love, de chat noir, de mistrals gagnants et d’honnêteté à l’égard de soi-même.
ADA : Où en est l’enregistrement de ton premier LP ?
ODyL : On est en train de le préparer mais il ne va pas sortir avant la fin de l’année, voire début 2014, car cela prend du temps et il s’agit d’un travail de fond. Ensuite il y a le mastering, la pochette, les visuels qui accompagneront l’album, le merchandising… Et puis on préfère sortir l’album plus tard et qu’il soit bon plutôt que de se précipiter et de faire une sortie à la va-vite…
ADA : Donc l’EP « C’était l’hiver » consiste à faire patienter avant ce premier album ?
ODyL : Voila. Il s’agit de faire patienter les fans. J’ai sorti un premier EP début 2012 et comme j’ai ensuite donné un grand nombre de concerts, beaucoup de gens ont apprécié ma musique et m’ont suivie. Cela fait longtemps maintenant que des fans me demandent « quand pourra-t-on acheter un disque ? »… En fait, je devais sortir un album assez vite après mon premier EP de 2012. Mais comme ma maison de disques m’a lâchée, il a fallu tout reconstruire, trouver un financement, une boite de prod’, les personnes avec qui travailler… Je ne voulais pas que les gens attendent désespérément puis passent à autre-chose. Car lorsqu’il n’y a pas d’actualités pour un artiste, ça part assez vite. D’où, avec « C’était l’hiver », un petit avant-goût du disque. Et puis effectivement, cela permet de créer de l’actualité, de reprendre les concerts, d’occuper le terrain pendant que le travail de fond se termine…
ADA : Ton premier EP éponyme, sorti en mars 2012, était sur Sony. Que s’est-il passé ?
ODyL : Un peu ce qui se passe aujourd’hui avec la plupart des artistes sur une maison de disques : les places sont rares et chères, les contrats sont minables. Et puis avec les contrats à options, les maisons de disques ont le droit ou pas de garder les artistes entre chaque album, et bien sûr l’artiste n’a pas le droit de décider s’il veut garder ou non sa maison de disques. En l’occurrence, j’avais signé pour un EP avec option album. Je ne m’inquiétais pas trop : lorsqu’une maison de disques signe un artiste pour un EP, il semble évident qu’un album va suivre car un EP signifie beaucoup d’investissements et peu de retours. Or, il y a un an, en plein été, j’ai reçu une lettre de Sony m’annonçant que le disque n’allait finalement pas se faire… Je ne suis pas un cas particulier (cela arrive à beaucoup), sauf que généralement tu as quand même l’opportunité de faire un album en entier. J’étais très étonnée car je possédais des résultats de vente, des fans qui avaient accroché au projet, des concerts, des médias… En même temps, le label où j’étais (Jive Epic) allait vers une couleur beaucoup plus « urbaine » comme ils disent (avec Sexion D’Assaut, La Fouine, beaucoup d’artistes hip-hop et r’n’b). Du coup, mon projet ne les intéressait plus. J’avais monté un label il y a quelques années (ndlr : 25H43 Productions), et avec ma petite équipe on a décidé de le remettre sur pieds. Par rapport à l’argent, j’ai eu beaucoup de retours des fans via le site OOCTO (c’est grâce à eux que l’album peut se faire) ainsi qu’une subvention. J’ai vécu le fait d’être indépendante comme d’être sur une maison de disques. Fatalement, l’indépendance est beaucoup plus difficile à gérer : le stress, les galères, les sous dépensés (car tu dépenses ton propre argent)… En même temps, je ressens aujourd’hui du soulagement car je n’ai pas à me prendre la tête avec quiconque pour imposer mon visuel, mon single, mes arrangements, mes chansons…
ADA : Tu n’étais donc pas heureuse chez Sony…
ODyL : Je ne me sentais pas considérée. Chez Sony, personne ne m’a jamais dit que je composais ou écrivais bien. Le seul compliment que j’ai reçu de Sony : on m’a qualifiée de « dure-à-cuire ».
ADA : Et personnellement, tu te considères comme une « dure-à-cuire » ?
ODyL : Pas vraiment car je tombe en larmes assez facilement et je rougis dès que l’on me parle. « Dure-à-cuire » dans la persévérance, oui. On dit souvent que ceux qui réussissent dans ce métier sont des personnes qui refusent de baisser les bras. Personnellement, je persiste. C’est peut-être une erreur mais la musique reste ma raison de vivre. Peut-être un jour déciderai-je de faire de la musique uniquement dans ma chambre ou de ne jouer que dans des bars au fin fond de la France, mais pour l’heure j’accepte d’en faire mon métier malgré les difficultés.
ADA : Tu n’as jamais des périodes de découragement ?
ODyL : Si, bien sûr, tout le temps ! Avec mon équipe, on se demande souvent si je n’ai pas un chat noir en moi ! J’ai connu pas mal de galères et de coups durs. Ma plus grosse galère ? Au moment où, avec mon ancien groupe, nous allions créer notre label et sortir un album, la personne qui m’avait signée (une ancienne directrice de Columbia), une personne qui croyait en moi et avec qui j’avais travaillé trois années, est décédée. Humainement, ce fut douloureux ; professionnellement, il a fallu recommencer à zéro car elle s’occupait de tout… Et ensuite Sony : tu signes, tu désignes… Un mec du métier a récemment dit à mon guitariste que j’étais un tank et que même si je me prenais un tsunami dans la gueule, je continuerai. Apparemment, c’est l’impression que je donne…
ADA : La chanson « Petite » fait-elle référence à tes déboires sur Sony ?
ODyL : Non. J’ai écrit cette chanson au tout début de ma période Sony. « Petite » parle certes du métier mais la chanson se veut plus générale. Le public aime justement le texte de « Petite » car chacun peut s’y reconnaitre. J’y aborde l’univers de la musique, un univers dans lequel je me suis pris des claques au point de me sentir toute petite face à des gens qui se croyaient très grands. Mais finalement, dans tous les métiers, dans chaque relation humaine, on a parfois l’impression d’être méprisé et pris de haut…
ADA : Les mots sont-ils le plus important pour toi ?
ODyL : Oui car j’ai commencé par écrire avant de faire de la musique. Et puis j’ai découvert Nirvana et j’ai eu envie de piquer la guitare de mon frère… Pour autant, je ne pense pas composer de la musique : j’écris des textes, je trouve des mélodies mais je ne fais pas le travail d’arrangements moi-même. Je n’ai pas la patience d’apprendre le piano ou le violon, même si j’aimerai…
ADA : Tes textes sont-ils autobiographiques ?
ODyL : Non. Je n’ai pas l’impression de raconter ma vie. Je pars de sentiments personnels, ensuite je m’amuse avec le texte ; si bien que le résultat n’a plus rien à voir avec mon histoire. Heureusement, d’ailleurs !
ADA : Pour toi, l’écriture semble être un besoin…
ODyL : Oui, c’est viscérale, jeté sur papier… On me demande souvent si je fais du rock ou de la chanson, et je réponds que je fais de la chanson rock’n’roll : pas de solos de guitare, pas de riffs, des textes sauvages et criés. Si Kurt Cobain criait sur scène, de mon côté je crie dans mes mots.
ADA : Tu retravailles beaucoup tes textes ?
ODyL : Non, pas trop. Ce n’est pas non plus de l’écriture automatique. Quand je suis dans le truc, les mots viennent assez vite.
ADA : Je discutais il y a peu avec un musicien à propos de la frontière séparant le texte intime du déballage. On se demandait jusqu’où peut-on aller sans tomber dans l’indécence. Tu en penses quoi ?
ODyL : Déjà, je n’écris jamais à la première personne. J’aime bien que les textes ne se limitent pas aux histoires personnelles, qu’ils soient plus généraux et abordent des choses que je peux voir dans ma rue. Dans l’album, beaucoup de chansons ressemblent à cela (ce qui n’était pas nécessairement le cas auparavant). Il existe ensuite une différence entre raconter sa vie et tenter de faire de la poésie. Pour moi, la poésie consiste à rendre beau par les mots une chose ne l’étant pas forcement. Il s’agit également de raconter son histoire mais de faire en sorte que le « moi » puisse être celui de tout le monde. Mes chanteurs préférés fonctionnent de cette façon : ils racontent tellement bien leurs vies que tu as la sensation qu’il s’agit de la tienne. J’essaie également de faire cela…
ADA : As-tu la sensation de partir du ou d’un quotidien pour ensuite aboutir à un message plus universel ?
ODyL : Oui, c’est le but. Par exemple, je peux écrire un texte très personnel mais je n’en ferai jamais une chanson d’ODyL. Je le donnerai à quelqu’un ou alors il s’agira d’un texte m’ayant fait du bien mais que je conserverai dans un tiroir. Pour l’album, j’ai vraiment choisi des chansons porteuses d’un message que j’avais envie de véhiculer et non pas qui raconteraient mon « moi ».
ADA : Quels seront les thèmes abordés sur ton album ?
ODyL : Je parle du métro car j’habite à Paris et l’on voit tellement de choses dans le métro ! Je parle de mon métier mais, comme je te le disais, en essayant de faire en sorte que cela puisse parler à chacun. Je parle de nostalgie…
ADA : L’album sera-t-il dans la même veine que « C’était l’hiver » ?
ODyL : L’EP est peut-être un peu plus sombre que l’album. Ce dernier est plus éclectique… Il y a un versant pop qui n’était pas présent sur l’EP (à part sur le titre « C’était l’hiver »).
ADA : Tu parlais de chansons rock’n’roll. Y a-t-il des artistes avec qui tu te sentirais en connivence. Daniel Darc, par exemple ?
ODyL : Je n’écoute pas ses albums en boucle mais je le respectais. Je l’avais croisé car il composait pour la même maison de disques que moi. Mais j’aime la comparaison car lorsque je parle de chansons rock’n’roll, Daniel Darc est un bon exemple : poétique, souvent mélancolique, avec ce qu’il faut de rage et de punk. Effectivement, je m’y reconnais.
ADA : Penses-tu détenir toi-même un aspect punk ?
ODyL : Plus grunge que punk car je viens de Nirvana. J’adorais Nirvana car Kurt Cobain disait être originaire du punk mais il acclamait les Beatles (ce qui, à l’époque, était un gros mot pour les punks). J’explique le triomphe de Nirvana par le fait que Cobain mélangeait les Beatles à la rage punk ; et pour moi les mélodies sont importantes pour faire passer un message, il faut un aspect populaire… Je suis punk malgré moi car je possède un aspect je-m’en-foutiste et sûrement un peu déglingué dans ma tête (hélas !), mais je n’ai jamais voulu être en marge du système. Les rockers qui se prennent pour des supers rebelles, crient dans le garage et boivent leurs bières, ça ne change pas le monde. Kurt Cobain touchant des millions de personnes, cela possède plus d’impact que tous ces groupes étant resté inconnus car ils gueulaient des trucs sans mélodie. Rentrer dans un système populaire me convient donc très bien. De plus, j’aime les gens ; et populaire renvoie au peuple… Puisque nous parlons de chansons populaires et qu’il me faut le citer au moins trois fois par interviews, je suis une grande fan de Renaud !
ADA : Renaud !?
ODyL : Oui, c’était le chanteur de mon enfance. En ce moment, je m’y replonge. Je suis une absolue fan de Renaud car c’est un punk populaire qui parle d’amour.
ADA : Punk même durant sa période « Mistral Gagnant » ?
ODyL : Ah oui ! J’aime toutes les époques (même si j’ai moins écouté ses derniers disques). D’ailleurs, je suis en train de faire une reprise de Renaud pour un mini CD en bonus de l’album ; un mini CD qui sera offert aux fans ayant participé à son financement. Info exclusive !... Pour autant, je ne reprendrai jamais « Mistral Gagnant » car dix mille chanteurs s’y sont déjà essayés et aucun n’est arrivé à la reprendre tel que Renaud chantait ce titre. Justement car Renaud ne chantait pas « Mistral Gagnant », il la parlait presque, il la vivait.
ADA : Quel titre de Renaud vas-tu reprendre, alors ?
ODyL : Je ne le dis pas encore (rire) ! Je garde un peu d’exclusivité !
ADA : A part Renaud, quels furent tes premiers émois musicaux ?
ODyL : Mes parents ne sont pas musiciens, ils sont tous les deux profs de lettres, mon père est même poète (je pense que le fait d’écrire vient de là - je n’étais cependant pas très proche de lui). Ma mère écoutait Ferrat alors j’écoutais Ferrat, mon père écoutait Ferré alors j’écoutais Ferré… J’ai un grand frère de trois ans mon ainé qui, durant l’adolescence, ne se coupait plus les cheveux mais par contre se coupait les jeans. Il était devenu fan d’un groupe qui se nommait donc Nirvana. Vers treize ans, gros coup de cœur pour Kurt Cobain. Mon frère possédait une guitare toute pourrie, j’ai voulu faire comme lui et je me suis mise à gratouiller…
ADA : Tu avais un groupe au collège ou au lycée ?
ODyL : Je n’ai pas eu de groupes lorsque j’étais au collège ou au lycée mais j’écrivais des textes qui sonnaient vraiment journal intime. Et puis, vers la fin du lycée, je suis tombée amoureuse de Muse, un groupe alors inconnu. Je suis allée à leurs concerts et j’ai eu la chance de devenir « pote » avec eux car je soutenais cette musique et nous n’étions alors pas hyper nombreux. Du coup, le groupe m’invitait à tous leurs concerts. Comme j’étais ado et que cela m’éclatait, j’ai donc fais plein de dates avec Muse. Cela m’a motivée pour revenir à ma guitare et à ma musique. J’ai cherché un groupe et je m’y suis vraiment impliquée. Au début, je voulais juste être guitariste car j’étais très timide et je me détestais physiquement. Je jouais avec une pote qui, comme moi, était fan de Hole : elle était la leadeuse pour son côté grande gueule, et moi je jouais de la guitare. Puis je me suis mise à faire les chœurs, et un jour cette amie m’a dit que mon chant était cool. Comme cette dernière n’aimait pas du tout écrire, j’ai commencé à mettre mes textes en musique… Le groupe a tenu une année. Comme nous étions quatre meufs dans le band, l’affaire s’est très mal finie.
ADA : Pour quelle raison ?
ODyL : En fait nous étions quatre meufs plus un batteur. En gros, on est toute sorti avec ce batteur et cela s’est terminé en pugilat (rire). A partir de là, je n’avais plus envie d’être au second plan. J’ai donc posé une annonce afin de rencontrer des musiciens. Un groupe s’est monté, nommé ILIS, avec qui j’ai joué huit ans. Nous avons découvert le métier sur le tas car au début nous n’étions qu’un groupe « d’ados » ne connaissant personne dans le milieu..
ADA : Quel âge avais-tu au moment de créer ILIS ?
ODyL : Vingt ans. J’ai décidé d’arrêter mes études à ce moment-là. Je me disais « j’y crois à fond » même si nous n’avions aucune idée de la réalité du métier, surtout en France. Or, lorsque tu ne connais personne dans le milieu et que tu n’es pas « fils de », tu apprends au fur et à mesure. On a envoyé des centaines de disques et on a eu la chance d’être contacté par une femme du métier. A l’époque, je pouvais encore arrêter la musique et reprendre mes études ; mais du coup, je me disais que la musique était possible. Et j’ai continué !
ADA : Vous avez beaucoup tourné avec ILIS ?
ODyL : Pas mal. Au début, on jouait surtout en région parisienne (pour des tremplins, ce genre de choses). Puis Virginie (la femme avec qui je travaillais) nous a expliqué les astuces du métier. Personnellement, d’un point de vue mental comme humain, Virginie m’a beaucoup aidée car je viens d’une famille de dépressifs. J’étais donc tout le temps pessimiste, et cette femme m’a permit de virer les idées noires de ma tête.
ADA : Il t’arrive encore d’avoir des idées noires ?
ODyL : C’est dans ma nature. J’ai un cerveau assez sombre et bordélique…
ADA : Pourquoi ILIS s’est-il arrêté ?
ODyL : A cause du décès de Virginie. On a ensuite décidé de continuer car elle aurait aimé que l’on fasse cet album, mais ce fut très dur. Nous avons un peu tourné durant les deux dernières années du groupe, mais sans aucune aide professionnelle. On se battait comme on pouvait. A la fin de la tournée qui accompagnait l’album, on avait emprunté beaucoup d’argent pour financer ce disque et il était difficile de tout rembourser (l’album ne se vendait pas trop). Cela peut sembler malpolie de parler d’argent mais c’est une réalité… A un moment, on ne pouvait plus rien faire : soit on trouvait des professionnels pour faire avancer le projet, soit on arrêtait. C’est alors que j’ai rencontré mon directeur artistique chez Sony… Sony m’avait repérée car je refusais de baisser les bras. Les gens de Sony n’aimaient pas mon groupe mais pensaient que je détenais un potentiel. J’en ai parlé à mes musiciens. Ce fut une période douloureuse car mes musiciens étaient devenus une famille, comme une troupe de théâtre qui part sur les routes. D’ailleurs, notre album s’appelait « Sexe, Love & Rock’n’roll » car nous étions à l’opposé du « sexe, drogue et rock’n’roll », très bon enfant, limite Bisounours !... Mes amis musiciens ont alors fait ce que peu aurait accepté : ils m’ont dit « avec ou sans nous, tu continues, on te soutient ». Cela faisait huit ans que j’étais la patronne de cette auto-entreprise. Je voulais tellement « diriger » que personne n’osait me dire ce qui n’allait pas. Du coup, quand j’ai commencé ODyL, je m’en suis pris plein la gueule par Sony.
ADA : Sony te critiquait ?
ODyL : Déjà Sony n’aimait pas ILIS (le groupe était donc rayé de la carte). Mais grâce à ces critiques, je me suis remise en question au point d’admettre que des choses n’allaient pas dans ILIS, techniquement comme vocalement. J’ai donc pris des cours de chant, par exemple. Artistiquement, cela m’a permis de faire table rase pour que ce nouveau projet me ressemble. Durant toute une période, j’ai arrêté d’écrire car je souhaitais en passer par une étape où je ne chanterai que des textes issus d’autres compositeurs ou paroliers. J’ai travaillé avec des arrangeurs, des réalisateurs, j’ai fait beaucoup de sessions studio ; ce qui finalement m’a aidé à aujourd’hui faire un album très personnel.
ADA : Comment ODyL est-il né ?
ODyL : Sur scène. Lorsque j’ai commencé les concerts, ODyL existait depuis quelques semaines à peine. Heureusement, une partie des fans de mon ancien groupe m’a suivie. Les gens ont aimé le fait que mon écriture soi plus crue. Il est vrai qu’avec ILIS je m’autocensurais : je pensais que certains textes me ressemblaient mais qu’ils étaient trop sombres, que le public n’allait pas apprécier. Inversement, avec ODyL, je souhaitais faire quelque chose de différent. Je me disais : « si cette différence ne plait pas, au moins je resterai moi-même ». Or, le titre « Rouge à lèvres » a buzzé sur Internet, le clip a pas mal été diffusé, des médias se sont intéressés au projet… Sans doute car cette chanson était très provoc (même si aujourd’hui je ne mettrai pas ce genre de chansons dans un album) et c’était sans doute bien de commencer de telle façon. Le propos était : « regardez, je suis différente et je vous emmerde ». « Rouge à lèvres » s’apparentait à une carte d’identité. Je jouais seule sur scène et j’assumais. Parce que lorsque tu es toute seule sur scène, que tu joues devant des tonnes de personnes qui ne te connaissent pas, que tu fais un blanc dans ta chanson et que tu dis « aussi salope que salopée », eh bien faut assumer ! Ensuite, prochain album, « montre-nous tes couilles si t’en as » (rire).
ADA : Au moins c’est clair !
ODyL : En même temps, la provocation consiste à écrire un truc pour aboutir à un effet. Dans le cas de « Rouge à lèvres », ce n’était pas le but car à la base il s’agissait d’un très long texte qui n’était pas spécialement destiné à devenir une chanson… Par contre, ce fut un choix de sortir ce titre en premier et d’en faire une signature ODyL. C’est-à-dire une chanteuse moins pop, moins lisse, moins gentille et belle que la plupart des chanteuses actuelles. Et puis cela colle avec le personnage ODyL car je finis mes concerts hyper mal coiffée et avec du rouge à lèvres partout.
ADA : Apprécies-tu certaines chanteuses aux mots très crus ? Je pense à P.J. Harvey, à Liz Phair, à Courtney Love évidemment…
ODyL : J’ai toujours beaucoup aimé les meufs un peu grandes gueules. Courtney Love disait « si t’as quinze ans et que tu es une meuf, prends une guitare ». J’avais quinze ans, j’étais une meuf, j’ai donc pris une guitare. J’adorais Courtney Love car elle s’en prenait plein la gueule mais elle résistait, elle se relevait, elle répondait à son mec (qui avait cité le « it’s better to burn out than to fade away » de Neil Young dans sa lettre de suicide) en chantant qu’il est préférable de se relever plutôt que de s’éteindre à petit feu. Et puis c’était important pour moi d’entendre une meuf chanter le mal-être dans un corps de femme. Elle racontait par exemple le fait de se faire vomir... C’est vraiment Courtney Love qui m’a donnée envie de mettre du rouge à lèvres, d’acheter des talons alors que j’étais un garçon manqué très mal dans sa peau. Je mettais des jeans déchirés hyper grands, avec des cheveux longs tout dégueulasses… Hole m’a permis de comprendre qu’une fille n’était pas obligatoirement précieuse ou forcément lisse… Je kiffe également Katy Perry car, même si elle est loin de mon univers, il s’agit d’une meuf ayant un pouvoir incroyable et une capacité à fédérer du monde.
ADA : Et en littérature ?
ODyL : Je suis fan de Virginie Despentes. D’ailleurs, dans « Mordre au Travers », à chaque début de nouvelles on trouve une phrase de Hole ou de Nirvana. J’aime le discours de Virginie sur le féminisme : avec « King Kong Théorie », elle éclate tous les préjugés en disant « j’ai fait du porno et je kiffe cela, j’ai choisi de me prostituer et je l’assume ».
ADA : Tu écoutes quoi en ce moment ?
ODyL : Je me sens aujourd’hui moins indie-rock 90’s. J’écoute Bashung, Renaud, Gainsbourg car je suis à fond dans les textes. Mes influences musicales viennent certes du rock anglo-saxon des années 90, mais mon écriture vient de la chanson française.
Merci à Carole Chartaud