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Retour au boss à la casquette du collectif de Nashville, USA... Nous l’avions quitté en bonne compagnie avec Mark Nevers, leur producteur attitré et homme de l’ombre. Nous parlions alors du chef d’œuvre "Is A Woman" que nous retrouvons à nouveau en la compagnie de Kurt Wagner.

ADA. Vous sortez à la même période ce beau clip animé sur le périple d’une feuille morte pour le titre "Is A Woman".

Kurt Wagner. J’ai prêté ma voix pour le doublage d’une animation pour le projet de fin d’études d’un étudiant en art de Londres... J’avais trouvé l’expérience génial... Plus tard, le même jeune homme m’a rendu la pareille en faisant ce clip. Il venait juste d’ouvrir sa boite de production et je suis fier de savoir que Lambchop est le premier groupe qu’il a mis en images... Je n’ai pas été du tout impliqué dans ce projet, la seule chose que j’ai eu à faire, c’est d’admirer et adorer le résultat final... (Rires)

ADA. 2004, c’est l’année de sortie du double album "Aw C’Mon/No You C’mon" et votre B.O de "L’aurore" de Murnau, ce film considéré par beaucoup comme l’un des plus beaux de la cinéphilie mondiale

Kurt Wagner. Ces années-là ont été des années très productives pour Lambchop et pour moi... Nous travaillions à l’époque simultanément sur deux projets, l’un pour la mise en musique de ce film sublime de Murnau que nous devions faire en ciné-concert et sur des titres qui ont fini par former un album sans même que l’on s’en rende compte. Petit à petit, les deux projets se sont entremélés et ont donné deux albums, le double album que vous connaissez... "Aw C’Mon/No You C’mon", c’est la photo instantanée de notre hyperactivité de l’époque.

ADA. Durant votre carrière, vous avez beaucoup brouiller les pistes, dans vos choix d’orientation musicale... Quand on vous attend Country, vous revenez Gospel ou Soul, quand on vous pense Soul, vous revenez Jazz....

Avec "Damaged", votre dixième album de 2006, vous ne dérogez pas à la règle en nous prenant à contre-pied avec la collaboration avec le duo électro Hands Off Cuba, également membres de Lambchop.

Vos détracteurs vous reprochent de faire le même album depuis plusieurs années alors que les variations sont dans les foultitudes de nuances, de petits détails comme dans ce fameux "Damaged" par l’apport d’une touche subtile délectro par Hands Off Cuba avec ces drones cotonneux et oppressants....

Kurt Wagner. (Rires...) Bon je pense que je ne comprendrai jamais les critiques... Bon, enfin, il faut bien qu’ils fassent leur boulot, non ? (Rires...)... Tu vois je crois que nos albums, c’est un peu comme un mur, comme du travail de maçonnerie qu’on construit doucement, en respectant la matière travaillée pour en obtenir les formes désirées... On construit le premier mur et on tient compte des premières imperfections pour ne pas répéter certaines erreurs pour le prochain mur à venir... Avec la musique de Lambchop, c’est pareil... Je pense que nos albums se développent et se construisent en tenant compte des leçons apprises auparavant sur d’autres projets. Notre démarche n’est pas de réagir contre nos albums précédents mais d’y ajouter de nouvelles idées tant de production que de composition ou au niveau des textes, ce qui est très important pour moi... Je trouve au contraire que chaque album est bien différent du précédent. A chaque travail de composition, quand je me pose pour écrire, je ne suis plus tout à fait le même Kurt Wagner que celui des sessions de composition de l’album d’avant... J’ai vieilli, vécu d’autres expériences, je ne suis plus dans le même état d’esprit donc cela se ressent dans ma musique qui évolue avec moi. Avec Lambchop, nous essayons définitivement de ne pas nous répéter, ce qui de toute façon me semble juste inévitable comme je viens de vous l’expliquer.

ADA:2008, "Oh (Ohio)... Lambchop, cela a toujours été un groupe à géométrie variable... Deanna Varagona, William Tyler, Roger Moutenot et bien d’autres... Une nécessité chez vous pour mieux vous renouveler ?

Kurt Wagner. J’ai juste essayé de travailler avec des personnes intéressées au sens noble du terme de collaborer avec moi... Ce qui m’intéressent plus, c’est de travailler avec des amis que des musiciens professionnels avec qui je n’aurai pas de relation amicale et réciproquement. Ces personnes là peuvent être super mais ils ne sont pas forcément intéressés par la musique pour laquelle ils travaillent. Justement, pour eux, c’est un travail, du business, de l’argent à gagner. Je ne peux pas être dans ce genre de rapport avec les personnes avec qui je collabore. Cela ne me ressemble pas, ce n’est pas moi tout simplement. (Sourire...) Deanna, William et Roger, ce sont des personnes qui font partie de ma vie, des amis... Mais j’ai l’extrême chance d’avoir des amis qui en plus sont de grands, de très grands artistes. Nos vie se croisent et à un moment, les lignes se rapprochent, nous collaborons alors ensemble puis à nouveau les droites s’éloignent en parallèles... C’est un cycle...Je suis en tout cas tout à fait conscient de la chance d’être entouré dans ma vie de belles personnes bien attentionnées... D’ailleurs, je vous conseille le dernier album de William Tyler, "Impossible Truth" qui est très très beau !!!

ADA. En 2010, vous sortez le projet "Kort" et l’album "Invariable Heartache" avec Cortney Tidwell autour d’artistes du label Chart Records...

Kurt Wagner. Cela faisait longtemps que je voulais collaborer sur un projet d’envergure avec Cortney qui a cette voix sublime qu’on lui connaît. Là, effectivement, on a voulu payer notre tribut à la musique Country... Pour la petite histoire, le père de Cortney, c’était le boss de ce label, Chart Records qui avait bercé nos enfances respectives... Donc c’est vite apparu comme une évidence que nous devions aller chercher dans le répertoire de ces artistes-là. C’est l’album le plus Country que j’ai enregistré à ce jour, je suis d’ailleurs assez fier du résultat (Rires...)

ADA. En 2012, vous revenez après une très longue absence inhabituelle de la part de Lambchop (04 ans) avec un album, "Mr M" dédié à Vic Chestnutt. D’ailleurs, si je peux être personnel un instant, je conserve un souvenir vibrant d’un concert de Vic Chestnutt dans un cabaret de ma ville... Un moment qui m’a beaucoup marqué...

Kurt Wagner. (Long Silence...) Oui, c’est vrai, cela a été très long mais... (Silence) la disparition de Vic a été un sacré coup dur que je n’ai toujours pas digéré mais que je ne digérerai jamais de toute façon (Sourire)... C’est marrant ce que vous me dites sur ce concert que vous avez vu de lui car c’est en général ce que les gens me disent quand ils me parlent de ses concerts... (Silence...)

Que puis-je dire de Vic ? J’ai perdu un ami ce jour-là... Il me manque tous les jours, c’est la personne qui m’a donné assez de confiance en moi pour commencer à faire de la musique... Je ne le remercierai jamais assez pour son humanité, sa générosité , sa gentillesse et son humilité. Comme vous, je me rappelle un concert, cette première fois où je l’ai vu jouer à Nashville à la fin des années 80, un concert qui a changé le cours de mon existence... Ce jour-là, j’ai su que je ferai de la musique mon mode d’expression premier.

Je pense que comme vous, nous sommes nombreux à conserver ces souvenirs vibrants d’émotion des concerts de Vic. Il était ce genre d’artistes que l’on n’oublie pas, que l’on n’oubliera jamais... (Silence...)

ADA. Kurt, vous êtes peintre également... D’ailleurs la pochette de "Mr M" est une de vos peintures. Votre peinture joue t’elle un rôle dans votre manière de composer ?

Kurt Wagner. Je me vois un peu comme quelqu’un de bicéphale, comme un artiste qui peint et crée de la musique. Parfois, mes deux modes d’expression s’unissent, parfois non... Dans ma manière de créer, il y a des procédés que vous retrouvez dans ma peinture et dans mes compostions et d’autres choses qui par contre opposent les deux arts. Dans les deux cas, j’essaie de dépeindre le quotidien et ses petits détails.

C’est simplement la manière dont je me suis développé. J’aime beaucoup cette phrase de Gerhard Richter, un peintre autrichien dont j’admire beaucoup le travail :

"Mes tableaux sont sans objet ; mais comme tout objet, ils sont l’objet d’eux-mêmes. Ils n’ont par conséquent ni contenu, ni signification, ni sens ; ils sont comme les choses, les arbres, les animaux, les hommes ou les jours qui, eux aussi n’ont ni raison d’être, ni fin, ni but. Voilà quel est l’enjeu."

J’adore aussi le travail de David Dunlap ou Bruce Tapola et ses formes comme des ombres...John Buck, un sculpteur dont j’adore les bustes coupés et ses apparences étranges. Il y a aussi Raymond Petitbon qui est aussi musicien mais qui est surtout connu pour ses pochettes d’albums de Black Flag, des Foo Fighters et de Sonic Youth.

Et puis il y a Michael Peed, un de mes professeurs dans mon école d’art... D’ailleurs, nous avons pris un de ses tableaux pour la pochette de "Oh (Ohio)

D’ailleurs, notre démarche chez Lambchop concernant l’attention que nous avons toujours porté à l’aspect visuel des pochettes de nos albums, c’est que nous voulions et voulons toujours d’ailleurs (Rires...), c’est que la pochette puisse vivre sans l’objet disque, sans son seul but utilitaire, sans son seul but illustratif... Nous voulions, enfin voulons (Sourire) que l’on puisse l’accrocher à un mur, que l’on puisse le poser sur une étagère. Nous voulions produire des albums avec de beaux visuels qui seraient comme de petites peintures indépendantes du cd. Nous voulions aussi travailler avec des artistes que nous admirons et qui sont aussi des amis.

ADA. Votre rapport à la musique me fait penser à votre ancienne activité de charpentier... Comme si vous sculptiez des détails musicaux dans du bois...

Kurt Wagner. C’est vrai... De mon point de vue, il y a beaucoup de similarités entre la musique et la sculpture. Bien que je vois plus de ressemblances entre la peinture et la musique... Je m’explique... La peinture et la musique, ce sont des médias de l’ajout, on remplit l’espace et le son. La sculpture est plus un travail avec le vide pour créer la forme, c’est l’art de soustraire... Mais c’est vrai que j’essaie d’avoir une dimension artisanale dans mon travail.

En musique, on peut ajouter et supprimer alors qu’en sculpture, on est plus dans l’urgence de la suppression avec la spontanéité du résultat final.

ADA. Est-ce qu’un jour, nous pourrons assister à une exposition de Kurt Wagner, le peintre et sculpteur et peut-être le catalogue de ses œuvres ?

Kurt Wagner. Qui sait ? On peut toujours se prêter à rêver... (Rires) mais ce serait chouette oui, mais qui serait intéressé par cela ? Pas grand monde, j’imagine...!!!!

ADA. Quand on vous rapproche de Mark Eitzel, de Bonnie Prince Billy, Vic Chestnutt ou encore Stuart A Staples, qu’en pensez-vous ?

Kurt Wagner. (Long silence)... Et Bien je suis honoré d’être comparé à ces grands artistes que j’admire beaucoup.

ADA. En 2007, vous avez fait une tournée solo. Verra t’on un jour un album solo de Kurt Wagner ou peut-on dire que Lambchop c’est Kurt Wagner et que Kurt Wagner c’est Lambchop...

Kurt Wagner. (Long silence)... Tout est possible, j’imagine... Lambchop, c’est un groupe dans lequel je compose la majorité des musiques et des textes mais je ne suis rien sans l’apport des autres, que ce soit Tony Crow ou Matthew Swanson ou tous les autres... Ils m’aident à véhiculer mes petites mélodies et mes paroles... Ils sont indissociables de Lambchop... Lambchop, c’est moi mais c’est aussi eux, c’est aussi vous qui nous donnez un peu de votre attention , de votre temps.... Non, décidement non, Lambchop ce n’est pas que moi.... Donc par conséquent, oui, un jour, il pourrait y avoir un album solo de moi... (Sourire)

ADA. Vous avez participé au vingtième anniversaire de votre label, Merge... Serez-vous là pour le 30eme, le 40ieme, le 50ieme... (Sourire)

Kurt Wagner. Nous avons aussi joué le 5, 10 et 15eme anniversaire, chaque fois étant une manière de marquer le temps qui passe tout en ayant un prétexte sympathique pour boire un verre et bien manger... (Rires...)

ADA. Si nous devions retenir un album de Lambchop, vous aimeriez que ce soit lequel ?

Kurt Wagner. Je vous laisse seul juge... Ma réponse ce serait le prochain album qui sera encore mieux !!! (Rires...)

ADA. Comment voyez-vous l’avenir de Lambchop ?

Kurt Wagner. En un mot, radieux... Je nous trouve très créatif en ce moment. (Sourire) Je suis donc très confiant dans l’avenir. En tous les cas, cela me semble plutôt bien parti... Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’inspiration et de la musique...Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’inspiration et de la musiqueTant qu’il y a de la vie, il y a de l’inspiration et de la musique Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’inspiration et de la musiqueEt puis comme nous nous nourrissons de la vie pour nos petites ritournelles, c’est excitant de ne pas savoir ce qui nous attend demain et après demain... Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’inspiration et de la musique

http://www.lambchop.net/

Merci à Violaine Amiry pour son aide indispensable et sa patience dans la traduction des propos de Kurt Wagner (et pour toutes mes multiples requêtes passées et à venir) ... Merci à Frédéric Mompou et son beau piano, à Ernest Chausson et sa Légende de Sainte Cécile qui m’ont accompagné dans le travail de mise en pages de cette interview...Merci également à Kurt Wagner pour sa gentillesse et disponibilité...