Quand viendra le temps des bilans de fin d’année, sûr que pour beaucoup d’entre vous, amis lecteurs fidèles d’ADA, viendront très vite aux lèvres les albums de Mendelson, l’album posthume de Daniel Darc, les promesses d’avenir de Married Monk ou le retour de Matthieu Malon annoncé par l’hommage au chanteur de Taxi Girl... Pour une plus petite part d’entre vous, ce sera "Un Courage Inutile" du marseillais d’adoption Orso Jesenska.

« Ma voix ne porte plus très loin ».

Cette année, vous aurez pu traversé les pôles obscurs et sombres des terres de Pascal Bouaziz avec cet époustouflant triple album... L’autre proposition essentielle, c’est celle, solaire, de ce "Courage Inutile" avec cette lumière aveuglante et cette écriture dont jaillit l’émotion. Avec l’humilité qui le caractérise, Julien m’a envoyé ces quelques mots sur sa musique en me disant que si je trouvais quoique ce soit de prétentieux dans ses propos, je ne devais pas hésiter à couper dedans... Je vous laisse découvrir ces mots tels que je les ai reçus d’un artiste à l’humanité débordante qui n’hésite pas à nous parler de ses doutes, de ses craintes d’echec pour mieux nous faire aimer cette oeuvre renversante qui nous offre un courage utile face au vide...

Autoportrait en Henri Calet :

Je reviens sans arrêt à Henri Calet. Je peux lire cent fois la même phrase et cent fois elle va m’arracher le cœur. J’aime sa drôlerie et sa dureté mélancolique, la pudeur de son désespoir. J’ai repris plusieurs phrases pour cet autoportrait en miroir. Et puis j’aimais que le disque commence par : « ma voix ne porte plus très loin ».

Par endroits :

Un gimmick à la guitare que je reprends sans arrêt (piqué chez Cohen). Une chanson très chanson avec son refrain et ses métaphores.

Le fracas :

Tout est parti d’une phrase de Benjamin qui devant la montée du nazisme avait écrit terrifié : « si l’ennemi triomphe même les morts ne sont pas en sûreté. » La chanson est l’histoire de cette terreur sans cesse recommencée. Je voulais que tout reste très tendu jusqu’au piano qui vient déchirer le ciel gris sans ouvrir la moindre perspective. Les parties de chaque instrument se sont faits en une prise. Je joue de tous les instruments sur le disque, c’est parfois dommage.

Trois ombres :

C’est au départ un roman graphique de Cyril Pedrosa qui m’a beaucoup touché. C’est une chanson un peu funambule, avec un orchestre de poche un peu maladroit. Le chant comme sur le fracas fait parfois trop penser à Dominique A et son lyrisme pudique. Pour certains c’est rédhibitoire cette espèce de mimétisme involontaire (écouté presque quotidiennement à une époque, je peux pas me cacher).

Agrigente :

Je n’ai jamais vu Agrigente. Mais la série de tableaux de Nicolas de Staël m’a inspiré la chanson. La question de la lumière m’intéresse beaucoup, poétiquement et musicalement. Ces lumières de la Méditerranée dans lesquelles j’ai baignées. Finalement la chanson raconte à peu près la même chose que « Capri c’est fini ». Plus au sud donc.

La rivière :

Partir de sensations, être traversé par le monde et tenter de restituer cette expérience. Pas vraiment la mention « explicit lyrics », mais on s’en approche...

On était fait :

La mélancolie joyeuse, l’idée que le désespoir est aussi une manière d’être désabusé et donc de se libérer.

Par hasard :

Il y a à Rome un jardin d’orangers où nous aimions aller mon amoureuse et moi quand elle y vivait. Les ruines, les chats, les odeurs de fleurs d’oranger, tout ça mélangé me revient souvent. Là encore les lumières mélancoliques du sud. Un apaisement qui demeure intranquille au fond.

Le décor :

C’est peut être la première chanson (un peu présentable) que j’ai écrit. J’étais au lycée. C’est dire si que j’y raconte est parfaitement inauthentique. Mais je lui garde, sans doute pour cette raison, une certaine tendresse. Aussi parce que c’est par cette chanson que j’ai rencontré Geoffroy de Tycho Brahé qui l’avait aimée dans une version que j’ai perdue (dommage je crois qu’elle était meilleure) et qui avait eu la gentillesse de me le dire. Ca m’avait décidé à faire écouter un peu plus mes chansonnettes.

Gestes de vie :

J’aime ces chansons-portrait. C’est l’histoire d’un suicide assez proche de « le canari et sur le balcon » de Gainsbourg ou « la petite fille de Fleury » d’Yves Simon. La chanson vient d’un souvenir de Belle du Seigneur. La femme de la chanson, c’est Isolde l’ancienne maîtresse de Solal qui se jette du haut de l’hôtel Noailles à Marseille. C’est le personnage le plus émouvant du livre. J’habite à quelques rues de l’hôtel Noailles qui est devenu un commissariat. Quelques accords très simples pour éviter toute emphase qui aurait été ici un peu vulgaire. (Par contre j’ai un peu honte du « comment le chat sourit » qu’on y entend...)

L’ennui :

C’est facile de tomber amoureux, c’est à la portée du premier cœur venu. Mais ce qui me bouleverse c’est tenir cet amour malgré tout. Christian Quermalet en a fait une relecture en la réarrangeant et la remixant. Fan absolu de son travail, j’en ai un peu pleuré.

N’en déplaise à l’ami Orso quand il nous parle de l’influence de Dominique A... C’est vrai qu’il y a de grandes proximités vocales entre les deux artistes mais Julien suit d’autres pistes, d’autres voies musicales très éloignées des ambiances du grand chauve majuscule.

Pour ceux qui ne connaissent pas encore "Un Courage Inutile", dêpéchez-vous de plonger dans ces fragrances lumineuses avant que les bilans et les listes de fin d’année viennent vous rappeler ce très très bel album avec sa pochette signée "Stéphane Merveille" (Concepteur graphique des Volumes ADA 29 et 30).

http://cd1d.com/fr/artist/orso-jesenska

www.03h50.com/‎