Il y a des chansons et des albums qui aident à se vider l’esprit ou à relativiser la morosité. Pas un hasard si l’on revient constamment s’abreuver auprès d’artistes tels que Bill Callahan, Lou Barlow ou Michel Cloup : en s’exposant à nue, en ne trichant jamais avec l’émotion, ces derniers ont fini par devenir les compagnons de toute une vie, des balises éternelles vers lesquelles il est bon de plonger ses propres névroses. Malhabile (alias Gaël Maitreheu) appartient à cette lignée de compositeurs triturant leurs chansons jusqu’à l’os pour n’en retenir que l’essentiel, l’évidence, l’âpreté. A propos de « Clench your Teeth EP », il serait commode de parler de folk. Mais alors un folk un peu mutant, un folk qui ne se dégusterait pas devant la cheminée, un folk inquiet car ne connaissant guère le sens du mot tranquillité… Car si Gaël Maitreheu, en quatre titres à faire tourner en boucle pour mieux en apprécier les nombreuses subtilités, se permet orgue et clochettes, cette musique, quand bien même acoustique, donne la sensation d’une électricité domptée, canalisée mais toujours en filigrane. A l’instar de certaines chansons dénudées de Neil Young, Malhabile écrit des décharges électriques sur un mode folk-song. D’où, souvent, l’impression d’une menace sous-jacente ; comme si la beauté des accords acoustiques pourrait soudainement virer à l’explosion soudaine, à la fureur et à la rage.

Qu’est-ce qui permet à certains compositeurs de toucher la corde sensible de l’auditeur ? La mélodie, assurément. Hier (magnifique « Sailing a Grey Sea ») comme aujourd’hui (envoutant « Clench your Teeth EP »), Malhabile est doué pour écrire des mélodies à en chialer de tristesse (Elliott Smith n’est ici jamais très loin). Il y a chez Gaël Maitreheu ce don pour la song aussi limpide qu’immédiate (particulièrement sur son premier EP, d’ailleurs). A un tel point d’intensité qu’il est impossible de savoir si Malhabile est guidé par une muse généreuse ou bien s’il s’agit d’un long travail d’épure et de sophistication discrète…