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Originaire de Poitiers, le quintet Polly Nichols se singularise par la sensation d’une alchimie rare entre musiciens. Dès réception de leur premier EP (abrasif « Stinking Flower »), impossible en effet de se détacher de ces « It’s Time », « 1955 » ou « No Less » : chant très PJ Harvey (Nathalie), guitares mélodiques mais tranchantes (Jérôme), batterie post-punk (Alain), basse affirmée (Vincent). Comment Polly Nichols a-t-il démarré ? Comment ce groupe a-t-il trouvé sa propre cohérence musicale ? Uni par des liens de sang, le quintet répond collectif à nos questions : « le nom du groupe est apparu en 2009, quelques concerts mais rien de très notable ; tout a réellement démarré en mai 2011 avec l’arrivée de Vincent à la basse. Le groupe a dès lors trouvé sa forme définitive. Polly Nichols se compose aujourd’hui de quatre personnalités très différentes et entières, c’est ce qui fait sa force. Pas de leader mais quatre sensibilités qui arrivent à parfaitement s’exprimer dans la musique. Tout ce qui peut nous différencier dans la vie quotidienne forme un tout dans la musique, c’est assez magique. »

Catalogué comme post-rock, « Stinking Flower », au grès d’écoutes assidues, dévoile une ambiance et des ambitions bien supérieures à cette étiquette un brin réductrice. Pour tout dire, l’auditeur pense souvent à un groupe de pop produit par Steve Albini. Fausse piste ? « Citer Steve Albini est une des plus belles comparaisons qu’on puisse faire. Plusieurs de ses disques ont tourné en boucle lors de l’enregistrement de l’EP. Concernant le post-rock, le rapprochement est en effet un peu facile, surtout que nous avons du chant (ce qui est plutôt rare dans le post-rock). Cette comparaison vient surtout de la façon dont nous travaillons sur les harmonies et les ambiances. Pour Jérôme à la guitare, chaque note a un sens, un accord n’est jamais choisi au hasard ou par facilité, il faut qu’il provoque une émotion particulière ; en cela le post-rock est assez proche. On a aussi remarqué, lors d’une tournée en Bretagne, que nos publics s’entendaient plutôt bien ; il n’en fallait pas plus pour nous coller cette étiquette, qui ne nous dérange pas ceci-dit. La similitude entre le post-rock et nous, c’est qu’il faut accepter de se laisser aller quand on écoute notre musique. Le fait de ne pas trop savoir dans quelle boite nous mettre nous plait bien, nous ne composons pas en nous disant « on est un groupe de tel ou tel style, donc il faut utiliser tel ou tel code pour que le public s’y retrouve ». En parlant de nous, on cite parfois le rock-alternatif, le post-punk… Polly Nichols c’est un peu de tout ça mais à notre sauce. »

Polly Nichols, c’est pro, c’est un beau travail de musiciens. En même-temps, il y a quelque-chose de dérangeant dans cette musique (ce n’est pas péjoratif). Celle-ci constituerait la bande-son parfaite de nos plus beaux cauchemars… Autrement-dit : « Stinking Flower » inquiète mais, comme une drogue dure, le fan y revient inlassablement. « Là aussi tu fais mouche, c’est notre but : provoquer des émotions qui viennent de loin. Tout ceci s’explique aussi par notre façon de composer. Nous ne cherchons pas forcement à composer de la musique glauque, pas du tout, mais une musique qui remue à l’intérieur. Et ensuite chacun a ses propres fantômes ou rêves que notre musique peut réveiller. »

D’où l’inévitable question : comment se déroule le processus d’écriture ? « Il n’y a pas un seul modèle mais nos compos partent souvent de quelques notes ou accords trouvés par Jérôme. Pour trouver ces accords, Jérôme aime travailler devant des vidéos, des documentaires plus ou moins effrayants, des évènements forts comme le terrible accident de voitures sur le circuit des 24 heures du Mans en 1955 (d’où le titre d’un des morceaux de l’EP), ce qui explique peut être le coup du cauchemar dont tu parles... Une fois dans le local, nous brodons autour de ces notes. Quelque soit la personne qui amène les première idées du morceau, on aime beaucoup construire, déconstruire, reconstruire, la composition prend du temps. Chaque musicien apporte sa partie, tout s’écrit réellement à quatre. Nathalie compose en même temps que les instruments, d’abord un chant en yaourt et une fois la mélodie trouvée et le morceau bien structuré elle colle des paroles. La chose très importante que nous faisons dans les premières minutes de compositions, c’est d’évoquer à quoi cela nous fait penser en terme d’images ; on se construit toujours une histoire, un petit film dans nos têtes… Quand on est raccord avec l’histoire, tout s’enchaine. Cette façon de composer nous permet en live d’avoir des images en tête, c’est très intéressant car cela nous permet de jouer tout en émotion. »

Justement, l’importance des paroles ? « Les textes découlent dans la majorité des cas de la petite histoire, du film que nous avons imaginé lors du processus de composition initial. Nathalie part de cette matière brute pour trouver des mots qui aient du sens, qui soient en cohésion avec ce film imaginaire. Nous assumons le fait de ne rien revendiquer à travers nos textes, d’autres le font très bien. Notre priorité, c’est que la musique ou les textes soient le prétexte à faire travailler l’imaginaire de l’auditeur. C’est comme dans un bon film au ciné : rien de pire que les films où tout est dit, tout est surexposé… Il faut laisser de la place à l’interprétation de chacun, c’est beaucoup plus intéressant. On est toujours surpris par certaines réactions que l’on provoque ou commentaires d’après concert, c’est parfois effrayant mais aussi le signe qu’on a réussi notre pari. »

Surprise : sur « Stinking Flower », nous trouvons une reprise du séminal « Never Let Me Down Again » de Depeche Mode. Une reprise qui rend justice à l’amour qu’entretient Martin Gore pour le blues et Johnny Cash. D’où vient l’idée de reprendre un tel parangon ? Polly Nichols a-t-il cherché à faire parvenir sa magnifique reprise au boss de Basildon (il adorerait) : « Secrètement, on rêverait de savoir ce que pense Martin L.Gore de notre reprise, mais ce n’est pas le genre d’artistes, sauf erreur, à aimer les reprise. On reste donc discret. Mais si tu as un bon contact avec Martin ! (NDLR : putain, j’aimerai). Depeche Mode n’est pas forcement un groupe dont on s’inspire, mais il fait parti de notre culture musicale à tous les quatre. Plus globalement, les années 80-90 ont fortement laissées des traces dans nos esprits. Toute personne qui a écouté dans sa jeunesse des groupes comme Joy Division, Cure, Siouxie and the Banshees, Sonic Youth ou PJ Harvey trouvera un petit truc qui lui rappellera ces groupes en nous écoutant. Pour revenir à « Never Let Me Down », l’histoire de cette reprise est intéressante : tout est parti des accords du morceau que Vincent a joué en fin de répétition pour rigoler. Et puis tout s’est enchainé : on s’est dit « pourquoi ne pas en faire un cover à notre sauce ? » ; et au final, un titre on l’espère très personnel. Pour y arriver nous avons passé presque plus de temps que pour une compo classique, le challenge était de ne pas faire un cover plan-plan de plus mais bien de s’accaparer ce titre. »

Logiquement, groupe autoproduit, Polly Nichols détient le même discours alarmiste que la plupart des groupes sans label ni soutien logistique : « L’autoproduction, c’est le bien et le mal en même temps. Les bons cotés, c’est que nous sommes totalement libres de composer comme on l’entend, les arrangements, le choix des ambiances, la promo, le choix du studio d’enregistrement, etc. Nous prenons le temps qu’il faut pour bien faire les choses, le résultat est donc 100% personnel. Les contres sont les mêmes que pour tous les groupes à notre niveau de développement : enregistrer, tourner, faire de la promo, tout ceci coute cher mais surtout prend énormément de temps en plus du travail de composition, beaucoup d’énergie que nous aimerions pouvoir consacrer uniquement à la musique. Quoi qu’il en soit, isolé, un groupe est voué à mourir en très peu de temps. On bosse donc beaucoup dans un esprit de partage avec des collectifs et des groupes qu’on croise lors de concerts, pour des échanges de coup de main et d’infos. Nous essayons tout le temps d’étendre notre réseau, de dépasser les frontières de notre ville, c’est vital. Les connexions que nous nouons avec la Bretagne depuis l’été dernier sont encourageantes, c’est une première piste de développement. »

Et pourra-t-on avoir la chance de voir Polly Nichols bientôt sur Paris ? « Si tu nous invites, on vient de suite (rire) – NDLR : je vais y travailler, promis ! »

Un premier EP disponible (en vinyle, tout de même), des chansons magnifiques, un collectif nommé « Collecticat » basé sur les échanges entre groupes, 2014 pourrait voir Polly Nichols atteindre une renommée parfaitement justifiée. « Niveau disque, l’objectif est d’enregistrer un nouvel EP en fin d’année, pour une sortie début 2015. Nous avons déjà 80% des morceaux.

Plus globalement, 2014 sera une année importante car notre objectif est de passer un cran supérieur au niveau de l’entourage « professionnel ». Distributeur, producteur, manageur, tourneur, nous ne sommes pas fixés mais pour ne pas nous épuiser sur la promotion du groupe au sens large, nous devrons trouver des gens dont c’est le métier pour nous aider et surtout nous ouvrir de nouvelles portes. Le modèle Français a ceci d’handicapant pour un groupe comme le notre, c’est de rendre l’accès quasi impossible à tout un tas de salles, de dispositifs d’accompagnement, de réseaux, tant qu’on restera étiqueté autoproduit. L’âge d’or du DIY est passé ; sans accepter toutes les règles du système de ces dernières années, nous sommes conscients qu’un groupe qui démarche en son propre nom a toutes les chances de rester dans son garage un bon bout de temps. »

Pour finir, inévitable question : les albums fétiches de Polly Nichols ? Sur ce coup, le quintet répond perso :

« Si on cumulait nos quatre discothèques, tu trouverais de la musique qui va de la fin des années 60 à nos jours, du funk original comme The Meters ou Rick James jusqu’au Metal, Math-Rock le plus extrême comme Meshuggah ou Trepalium en passant par du Jazz ou de la Noise. C’est un peu la magie des Polly Nichols : individuellement nous n’écoutons pas vraiment la même musique mais composer une musique commune est une évidence ; on ne se pose pas de questions, une alchimie qu’on ne s’explique pas forcement s’opère à chaque fois.

Vincent : Si je devais prendre un seul disque sur une ile déserte ce serait du Tool. Si ce n’est plus aujourd’hui le groupe que j’écoute en boucle, c’est celui qui m’a ouvert les yeux sur la place que pouvait prendre la basse dans le son et les compositions d’un groupe.

Jérôme : Pour moi, l’album de référence est sans aucun doute « Pornography » de The Cure. Cet album pourtant rejeté par Robert Smith aujourd’hui, car trop intrusif, symbolise bien le passage qui existe entre guitariste et musicien. Cet album m’a fait comprendre que la musique est un filtre terriblement révélateur de l’âme et que son rôle est bien là, la guitare n’est alors plus qu’un vecteur...

Nathalie : Plus que des voix aux grandes performances techniques, ce sont surtout des individualités exprimant émotions sincères et profondes qui vont me toucher. Cela peut aller des grandes voix du jazz à Björk… C’est en filigrane les « gueules » qui me parlent. Si un duo m’a bien marqué, c’est celui de Björk et de PJ Harvey chantant « Satisfaction » des Rolling Stones… Quant-à l’album marquant, ce serait « Homogénic » de Björk avec son titre « Bachelorette ».

Alain : Fordamage (« Volta Desviada »), Ghinzu (« Blow »), Corea (« Quien encuentra a la… »), Björk (« Medulla »), Gojira (« L’enfant Sauvage »). Mon album culte : Sonic Youth (« DaydreamNation »)



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