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On se rappelle tous ses premières rencontres en Littérature... Pour moi, ce fut Verne, Frison Roche, Cendrars, Conrad ou Stevenson.

Avec Stevenson, je découvrais ces échoppes sombres et enfumées, ces marques noires, ces silhouettes étranges avec cette claudication si particulière de la jambe de bois.

Je rentrais en piraterie comme d’autres dans les ordres. Parmi ces vagabonds étranges, paradoxaux melting-pots de vulgarité et de romantisme incertain, je trouvais là des frères d’armes, des gentilshommes de la fortune vacillante à la flamboyance modeste.

Pourtant, quelque part, je savais confusément que Long John Silver, Barbe Noire et autres flibustiers plus ou moins illustres n’étaient que des mythes, fabuleux en effet mais des mythes.

Je savais bien que par delà les seules dorures des artifices littéraires se cachait une réalité bien plus terre à terre.

Je me rappelle encore de la belle voix traînante de Gilles Lapouge, cet historien mais aussi homme de radio me révélant la face cachée mais plus authentique de la piraterie dans une série d’émissions "Une Histoire De" de 2010 sur France Culture.

Aujourd’hui comme hier, on rentre en piraterie car il faut bien survivre. Certes Hollywood continue d’entretenir la légende d’un anarchisme honorable... Cependant, d’autres voix commencent à s’élever dans le cinéma américain. Paul Greengrass est de ceux-là, auteur du sublime "Bloody Sunday" ou "Vol 93". Il est revenu fin 2013 avec "Captain Philipps".

Il revenait là sur la prise d’otages du bateau MV Maersk Alabama et le combat de son capitaine contre des pirates somaliens.

Semi ratage, semi réussite, le film ne trouve jamais vraiment son rythme, entre grandiloquence et essoufflement du scénario avec cette caméra à l’épaule sous adrénaline comme convulsive... On a ce furieux sentiment de quelqu’un qui se prendrait quand même un peu les pieds dans le tapis. Autant dire que quand j’ouvre "Black Lord", ce nouveau projet Bd par les frères Dorison et Jean-Michel Ponzio à la thématique proche, mon scepticisme est montré très haut dans le curseur de mes incertitudes.

C’est sans doute de l’ordre de l’évidence et du lieu commun de dire que l’art de la Bd, c’est un art visuel, un art de la maîtrise de l’espace et du temps, un art du découpage et de la construction de scènes. En cinéma, on utilise un story board qui n’est finalement qu’une esquisse de bande dessinée.

Parfois le dessin réussit là où l’image animée échoue. Là où "Captain Philipps" ressemblait à un naufrage par manque d’analyse, par manque d’ambition scénaristique, "Black Lord" parvient à convaincre dans une savante addition de regard clinique d’une certaine misère et par une volonté de miser sur une action réaliste.

Mais remettons les choses en contexte. Au début des années 90, la Somalie vit une longue période de guerres civiles. Les bateaux de pêche occidentaux profitent de cette anarchie ambiante pour piller les réserves naturelles de la Corne d’Afrique...

Comme souvent, nous avons armé les bras de la misère et nous poussons les pêcheurs somaliens à tenter de trouver leurs subsistances de survie dans une autre activité. Pour eux, ce sera la piraterie, une piraterie sans gloire, sans mythe...

Durant ces années-là, les côtes somaliennes deviennent des zones de non-droit où apparaît cette nouvelle forme de piraterie crapuleuse très loin des clichés habituels du genre...

C’est ce que raconte "Black Lord". Sans doute la réussite de ce premier tome est à trouver dans ce choix de ne pas se limiter à la seule prise d’otages mais aussi de mettre en situation les différents protagonistes, d’en faire une analyse presque anthropologique, presque ethnologique.

Voir cette famille de pêcheurs au bord du gouffre avec cette envie qui s’érode de rester intègres est un constat sombre et glaçant. C’est par ces petits détails que l’on perçoit l’engrenage d’une misère qui déshumanise.

La seule priorité, BOUFFER, à tout prix, par tous les moyens, en osant toutes les compromissions...

Un des personnages dit d’ailleurs : "Vous êtes l’otage de ce pays, pas le mien" La Somalie, en ces années là, est un pays où tout se vend, où tout s’achète, où tout peut être sali... C’est une société violente, régie par des priorités basiques : Bouffer ou être bouffé...

Les corps sont oppressés par la chaleur, ils sont écrasés par l’implacable... En lisant ces vignettes nerveuses et sans-faux semblants, je ne peux m’empêcher de penser à ces fourmilières affolées quand un pied vient les bousculer... Je retrouve cette même frénésie vitale, cette même désespérance dans ces 48 pages qui restent longtemps à l’esprit après lecture....

Ce constat pessimiste me donne une furieuse envie de retourner à mes flibustiers à l’imagerie plus naïve, celle de "L’île au trésor".... Une bd éprouvante mais nécessaire....

http://www.glenatbd.com/bd/black-lord-tome-1-9782723493611.htm




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