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La définition du terme "hapax" est assez floue, en même temps que son sens est clair. Il s’emploie pour évoquer un terme qui ne comporte qu’une seule occurrence dans la littérature et qui, par conséquent, se trouve être difficilement traduisible. Il y a généralement deux issues pour un hapax en dans le domaine littéraire : l’oubli total ou l’intégration au vocabulaire, sinon courant, du moins spécialisé ; il devient alors un néologisme.

En musique, l’Hapax est un groupe français, un trio originaire de Lille qui n’a curieusement pas beaucoup fait parler de lui à l’échelle nationale, malgré tout le potentiel qu’il porte en lui, un premier album réussi et quelques tremplins auquel il a participé (et qu’il a souvent remporté). Sa musique est folle, mais pas dans le sens où elle est éparpillée, brouillonne et perdue. C’est une folie douce, qui s’immisce doucement dans les oreilles, puis pénètre le cerveau et vient finir sa course dans le lobe occipital, celui-là même qui intervient dans la création d’images mentales.

Et c’est là où la littérature rejoint la musique. Chacun, à l’écoute de la musique de Tristan Bacro, Thimothée Couteau et Sven, se fera son propre décor, son propre imaginaire. Chacun aura sa propre terminologie pour évoquer ce que lui fait ressentir l’emploi minimal du piano, du violoncelle et de la guitare, en plus de cette voix magnifiquement rocailleuse. Chacun devra trouver son hapax pour définir clairement ce qu’est L’Hapax pour lui (vous suivez ?).

Qu’il s’agisse de plaines d’Irlande perchées au-dessus d’une falaise où viennent s’écraser des vagues poussées par un vent et un ciel menaçant, de monts rocheux d’Arizona abîmés par un soleil qui ne se lasse jamais d’assoiffer les quelques inconscients qui s’aventurent trop loin, ou d’un paysage lunaire qui s’étend à perte de vue, coincé entre l’infini et le néant, le décor importe peu, du moment qu’il correspond à la musique que l’on écoute. Elémentaire, mon cher Watson ? Certes. Mais, bien souvent, le style même d’un artiste ou d’un groupe, sous couvert d’une identité solide, donne une direction tellement rigide à ce qu’il produit qu’il devient quasiment impossible de s’évader ailleurs que dans la destination qu’il a choisi pour nous.

Avec Cuttlebone, L’Hapax met les cartes dans nos mains. Il nous livre une bande-son, six pistes tranquillement rageuses et un titre phare, Trip and Track. Il met en place une ambiance que le groupe définit lui-même comme "un calme sous tension avant une tempête qui n’arrivera jamais", et c’est à nous de construire le reste, à notre guise. C’est à chaque auditeur de dire si la musique est froide ou si la voix est chaleureuse, à chacun de choisir si tous ces morceaux sont des complaintes déchirantes ou des incantations mystiques proférées au coin d’un feu.

Jusqu’à présent, je n’avais pas bien saisi comment il pouvait être possible de dire d’un artiste (auteur, réalisateur ou musicien) qu’il avait livré une œuvre "personnelle". Pourtant, avec Cuttlebone, il y a un peu de ça. L’on sent que le trio a mis toutes ses tripes dans sa musique, et l’auditeur devra aussi mettre les siennes dans l’écoute, s’il veut que l’immersion soit totale. C’est une sorte de communion en deux temps qui s’opère alors que les titres défilent et l’on en vient à regretter la durée de cet EP qui dépasse d’une poignée de secondes les vingt minutes de voyage.

Aussi, lorsque Cuttlebone s’achève, le silence qui s’installe dissipe lentement toutes ces images qui ont défilées devant nos yeux et la nostalgie s’installe. L’on est tenté de réécouter instantanément l’intégralité de cet EP, mais l’on sait d’ores et déjà qu’il ne sert à rien de courir après ce périple mentale que l’on vient d’accomplir ; une autre viendra, et s’effacera à nouveau progressivement tel un doux rêve que l’on cherche à garder en tête quelques minutes après son réveil. Ainsi, chaque fois, un hapax sera créé, et dans cette brèche qui, par définition existera parce qu’elle n’existait pas jusqu’alors, se dessineront les contours d’une nouvelle expédition, tout aussi onirique et fantastique, mais jamais identique à toutes les autres.




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