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Endless season. Je traîne mon humeur fanée sur le front de la mer qui remonte encore à l’assaut de la plage. Malgré la nuit beaucoup trop loin, malgré l’ennui. Amers et fondus, au fond de la gorge les souvenirs enchaînés de ces langues échangées. De ces mots non prononcés. Sur ses lèvres. De ces mains moites et froissées. De ces jupes s’oubliant. De ces jules s’enivrant. Je sais que ne je ne devrais pas être là. Je sais que je ne devrais pas revenir. L’appel de la ville. Je sais que je ne devrais surtout pas penser à tout ça. Je ne sais plus. Des mirages. Je vois : M. Le verbe haut. Tombé de nulle part. Le sexe bas. Des envies à en revendre. Une fusion. Une dérision. Le plaisir infirme d’une ultime seconde. Eternel et mortel. Légitime. Infime. Les boutiques de fringues ont barricadé leurs devantures pour les six mois qui s’approchent. A l’abris des intempéries. Du vide et du silence. A l’abris de l’ennui. Des absences. Des amours futiles envolées et des rencontres éphémères dans des foules enfumées. Je me souviens : A. et F. Le regard chaud. Le silence si bavard de jumelles improbables. La complicité inouïe de quelques cheveux qui s’électrisent. Mimétisme. De quelques doigts qui ne se consacrent qu’au plaisir. Ma jupe flotte au vent. La chair de poule monte le long de mes jambes. J’ai envie d’une glace au caramel ou à la pomme verte. J’ai envie d’un cocktail au nom polynésien, bleu et orange. J’ai envie de l’ivresse. D’une ville. D’un cinéma. D’un foulard de soie sur mon cou. J’ai envie d’une main sur mon épaule. J’ai envie de rire aux éclats. J’ai envie de pleurer. Ils sont en train de démonter la grand roue, cliquetis et bruits métalliques claquent au ciel silencieux, bleu pour encore quelques jours. Un chien les regarde faire, fasciné. Le ciel sourit. Les voitures s’éclipsent. Le sable s’endurcit. La musique s’allège. Les mots font demi-tour. Les corps s’oublient. Les mains se démêlent. Les rires s’en mêlent. Et les paroles en l’air retombent alors en chœur. Il est temps de rentrer. Il est temps de partir. Il est bientôt temps de revenir. J’ai juste envie de me souvenir encore quelques instants. J’ai juste envie de m’endormir. Là au milieu de tes ruines. J’ai juste envie de partir. J’ai juste envie de rester. Je suis juste envieuse. Juste en vie. Encore. Toujours. Un corps. Tout court. Trop court. L’hiver sera long. Endless season.

Attention fragile. Bande son idéale de nos mélancolies automno-hivernales à venir, la pop rêveuse de Pastoral Division avance sur un fil, sans filet, musique funambule qui flotte entre ombre et lumière, hésite entre terre et ciel, entre chien et loup, virevolte entre joie et tristesse, navigue entre ville et campagne. Savante, planante, subtile, raffinée, c’est une affaire de nuance, de mélanges, de détails : la voix est incrustée dans la musique comme des éclats de pierres précieuses mais, discrètes, ou l’inverse, comme si ces morceaux avaient été composés par des artisans, des maitres tapissiers ou verriers, détenteurs d’un savoir ancestral. Pop stellaire, lunaire, c’est la musique de nos songes électro, ceux encore fragiles des nuits de printemps, ceux de la fin de l’été, contrastés, tourmentés. Les Pastoral Division chantent, parlent, en anglais en français, les pieds dans les 60’s, la tête dans les 90’s, pendant que leurs mains délicates et expertes organisent tout cela avec délicatesse très actuelle, convoquant machines, beats, boucles, nappes, tradition organique sans que cela ne sente jamais le labeur : coutures invisibles, finitions impeccables. Une musique mouvante, agile, sûrement capable de vous filer entre les doigts si vous n’y prêtez pas attention. Une voix qui frôle la plainte sans jamais basculer dans la pleurnicherie, portée par des courants ascendants, atteignant quelques sommets là où l’air est plus pur, la nuit moins noire, la mélancolie chez elle et nos bleus, nos âmes dans un entre-deux ouaté. Ça monte, ça descend mais tout en douceur, comme un serpentin porté par une brise légère et tournoyante. Alors nous voilà à nouveau heureux d’être triste, tristes d’être heureux, Porté par quelques morceaux en français convaincants « Sur ses lèvres », « Au cinéma », « Mirages », ou superbe « À la dérive » envoutant, hypnotique, qui emballe la machine en douceur, l’album dessine un ensemble cohérent, probablement plus toxique sur la durée qu’il n’y paraît. Comme une saison qui n’en finit plus de finir et incruste ses empreintes dans nos mémoires, une saison qu’on aimerait voir durer encore un peu, une saison qui hantera longtemps la suivante. Endless season.