> Critiques > Labellisés



A la bourse des émotions artistiques les mots ont perdu une grande partie de leur valeur et de leur pouvoir ces dernières décennies. La faute à un XXIème siècle paresseux qui poursuit le travail de destruction massive du sens du langage largement entamé au siècle précédent. Il reste bien quelques artisans d’une certaine tradition musicale et autres poètes résistants pour porter haut les couleurs d’une langue qui continue à se renouveler pour dire la vraie vie et le monde réel, mais globalement les images et le son l’ont emporté. Les élites politiques et économiques ont entrepris un travail de sape de longue haleine consistant à ne pas tenir parole et à dévoyer le sens des mots, bien aidés par la léthargie intellectuelle et la montée en puissance des technologies et autres écrans donnant à l’être humain un accès à toujours plus d’information avec toujours moins d’efforts et de réflexion. La machine de la pensée unique adore abuser du recours à des champs lexicaux simplistes ou manipulés pour classer, étiqueter, isoler. Or, employer un mot pour un autre c’est renoncer, c’est abdiquer. Ce n’est donc probablement pas un hasard complet si le nombre de projets mélangeant sons et images ou d’œuvres musicales instrumentales se multiplient : retrouver la force de la suggestion, le pouvoir de la sensation, la force de la musique quand elle s’adresse à l’être tout entier : corps et âme, peau, chair et tripes, cerveau et cœur. Retrouver une forme de pureté ou d’insouciance qui aurait plus à voir avec notre enfance, une enfance non encore pervertie par les codes et autres règles de la grande comédie humaine des adultes consentants.

Avec « Pink Renaissance », le trio NLF3 propose, assez loin des débuts noisy des deux frères Laureau dans Prohibition, un voyage panoramique et initiatique en technicolor à entreprendre l’humeur légère et curieuse. Boucles répétitives, samples minimalistes, basses rassurantes, électro arc-en-ciel, batterie sèche, échos psychédéliques d’autres cultures, leur musique kaléïdoscopale est un esprit polymorphique qui envahit la pièce qui vous abrite comme une BO de film qui s’enroule autour de vous pour mieux vous habiter, s’insinuer en vous. On pourrait lister une page de références et d’influences sans arriver à être exhaustif ou en se plantant, et ce ne serait pas totalement juste tant le groupe démontre avec cet opus une liberté de création totale, affranchie, ouvrant un spectre musical large et très séduisant. Au fur et à mesure que l’album avance on se laisse porter par une ambiance et une humeur des plus voyageuses : plus qu’une succession de pièces musicales raffinées et précieuses, c’est une véritable toile abstraite qui se peint devant vos yeux intrigués, une toile vivante où les formes et les couleurs se mélangent, évoluent, disparaissent, et reviennent comme par enchantement, au gré de leurs humeurs, de leurs souvenirs, de leurs envies. Au fur et à mesure que le disque avance et que cette toile se remplit et s’anime, se précise l’impression de rouvrir des portes, des passerelles vers l’enfance éloignée, de flotter légèrement dans les airs, ascension païenne, goût de paradis sensuels perdus et retrouvés l’espace d’un instant éphémère, la joie et le plaisir de l’instinct et de l’envie, une époque bénie, comme une épiphanie enfantine et globetrotteuse, pure, libre de tout sens du devoir, de toutes croyances, agrégeant les sons et les envies sans tenter de « jouer à quelque chose » mais avec l’unique idée de se faire plaisir en s’ouvrant de nouveaux horizons. Le rose a parait-il, la faculté d’apaiser, d’ouvrir de nouvelles perspectives, de régénérer : « Pink Renaissance » ouvre donc un nouveau champ des possibles, joyeux, légèrement enivrant, inconnu car un peu abstrait. C’est inventif, vivifiant, lumineux, une musique qui se passe de mots et nous propose lors de cette parenthèse enchantée de retrouver la capacité d’émerveillement de notre enfance. Une liberté de création, d’imagination, de rencontre et d’action. Priceless.




 autres albums


 interviews


aucune interview pour cet artiste.

 spéciales


aucune spéciale pour cet artiste.