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ADA : Ça y est, votre premier album sort, comment vous sentez-vous ?

François Joncour :C’est un moment assez spécial car le processus a été assez long. Il y a des morceaux de cet album qui ont commencé à éclore en 2009, le début du projet tel qu’on le connaît aujourd’hui, mais de manière un peu aléatoire. L’enregistrement à proprement parler à débuté pendant l’été 2012 et s’est étalé sur un an. Après il y a eu toute la mise en place, la logistique avec le label, l’album a finalement été masterisé en novembre 2013. Et on le lance là maintenant…

ADA : Quel est votre parcours ?

François Joncour :On s’est rencontrés au lycée à Quimper, on a commencé à faire un peu de musique ensemble dans différentes formations, on a monté un quatuor quand on faisait nos études à Rennes, et puis quelques années après on a finit par monter le duo. On n’habitait pas dans la même ville, j’habitais Brest et Seb à Caen et on a décidé de faire le groupe un peu sur cette distance : échanger par mail, se voir de temps en temps, en 2009 c’était encore assez informel, puis vers 2011/2011 c’est devenu plus intense, on a fini par trouver notre formule et on s’est dit qu’on allait le concrétiser sous forme d’album. Ça a été beaucoup de tâtonnements au début, liés en partie à l’éloignement, les échanges de fichiers, de mails, on essayait de se surprendre, je lui envoyais une piste de voix et une de guitare, il me renvoyait un fichier sans guitare, bref c’est pour ça aussi que ça a pris du temps…

ADA : Vous composez tous les deux ?

François Joncour :Oui, les musique on fait ça tous les deux, je m’occupe des textes mais sans non plus verrouiller le propos. Comme il chante une partie des textes, il a évidemment son mot à dire, c’est un travail fusionnel, il n’y a pas une voix plus forte que l’autre finalement, tout est potentiellement soumis à discussion.

ADA : Vous étant rencontrés au lycée je suppose que vous avez un socle de références artistiques communes ?

François Joncour :Oui bien sûr, au départ on se voyait sans vraiment se connaître, je le voyais faire de la guitare, moi je débutais, je balbutiais, lui était déjà très bon... Mais on s’est surtout retrouvés au début de la fac et plutôt autour du cinéma (de longues conversations sur François Truffaut, Jean Eustache, …). Pour faire le lien avec la musique, on a été très marqués par ce qu’a fait Diabologum avec « La Maman & la Putain » sur l’album #3. Pastoral Division s’est vraiment construit autour de la musique et du cinéma en même temps. Après on aime clairement tout ce qui est lié à la pop des années 60, le pop-rock des années 90 (Pavement, Blur, …). Sonic Youth aussi. Une grosse découverte plus récente : les Swans. On aime bien les gens avec des propos assez radicaux en fait. Arab Strap aussi a été hyper important. Et de l’autre côté, il y a toujours eu aussi, la langue française, même si c’est la première fois que ça apparaît sur un disque (on avait fait quelques EPs avant l’album) : Dominique A, Miossec, les premiers albums de Katherine pour Seb, Daho aussi je sais qu’il aime beaucoup. Dominique A c’est une grosse influence pour nous deux. Le premier album de Miossec reste un choc émotionnel fort, une pure déflagration. Je me souviens l’avoir vu dans une petite MJC à Douarnenez, c’était quelque chose…

ADA : La littérature ?

François Joncour :Oui je suis un gros lecteur, j’ai fait des études de lettres, un long parcours universitaire, sur « l’écriture de soi » notamment, la littérature est une de mes grandes passions. J’ai des goûts assez prononcés donc ça transparait mais j’espère que ça ne s’entend pas trop. Miller, Flaubert, Roth, tout un gros pan de la littérature US par exemple.

ADA : Votre musique a un côté assez « intellectuel », et ce n’est pas péjoratif, mais pensée, réfléchie…

François Joncour :Oui, sans vouloir pousser jusqu’à conceptualiser quelque chose, on a de longues discussions sur ce qu’on veut faire, il y a des tendances fortes qu’on voulait imprimer sur ce disque, le faire comme un vrai album, un tout. On a cherché à obtenir une unité de textures sonores, l’envie de trouver un ton. Chaque pièce du puzzle a sa place, la plus pertinente possible, il y a un sens qui nous guide et c’est très important même si parfois ça nous échappe et tant mieux, mais oui on voulait une cohérence. Ça nous représente à l’instant T, après on a toujours envie d’aller plus loin, de mieux faire mais globalement ça correspond à peu près à ce qu’on avait en tête même si on ne l’atteint jamais complètement… Heureusement d’ailleurs, c’est ce qui nous pousse à nous remettre à la création après. On a progressé par paliers, on a eu des moments de doute mais on est arrivé à un ensemble qui nous semble cohérent. La période du mixage avec Stéphane Laporte (Domotic) a été essentielle pour arriver à cela : il a vraiment donné cette touche finale dans les textures, comme un travail d’enluminures, c’est l’idée, il a apporté sa patte, la cohérence sonore à partir de notre matière. On avait besoin d’une personne extérieure qui nous apporte son regard, nous redonne confiance aussi par rapport à ce qu’on avait fait dans notre coin tous les deux.

ADA : Je vous sens assez méticuleux, exigeants, capables de passer des heures sur un son…

François Joncour : Oui il y a un travail assez minutieux, voire très. Stéphane aussi. Il a passé des heures et des heures parfois sur des secondes. Mais j’espère qu’on ressent aussi l’émotion…

ADA : Oui je te rassure l’émotion est là dès le début…

François Joncour : Parfois c’est le risque, d’aseptiser la musique, on y pense, on essaye de faire attention, c’est l’enjeu de trouver l’équilibre, on avait envie que ce soit bien fait mais évidemment que l’émotion passe à la première écoute, qu’elle vous embarque, on n’avait pas envie de faire un disque de musiciens non plus. On essaye de garder des choses pour les écoutes ultérieures, des détails à découvrir ou réentendre. Le disque est vraiment bâti pour réserver encore des surprises sur la durée.

ADA : Il y a beaucoup de projets musicaux, souvent de qualité, c’est compliqué d’émerger, comment vous vous situez par rapport à la promo ?

François Joncour : D’abord on est totalement concentrés sur la création, vu qu’on se finance nous-mêmes en grande partie, on a le luxe de faire rigoureusement ce qu’on veut, personne ne nous dit de changer une intro ou une partie qui paraitrait moins « commerciale ». On a une grande liberté. Après une fois que c’est fait, évidemment on a envie de le présenter, on a envie que ça plaise, sinon on le garderait chez nous sur notre disque dur… C’est pour cela qu’on s’est entouré d’un manager, attaché de presse : pour nous aider dans le travail professionnel qu’on maitrise peu et pour nous conseiller sur les objectifs à se fixer. On est content de montrer le disque, on est de plus en plus à l’aise avec ça, c’est important par exemple notre conversation, ça me permet de mettre des choses au clair, de formuler ce que je pense du disque, ça fait du bien d’en parler avec d’autres. Ça met un éclairage différent sur ce qu’on a fait…

ADA : Vous avez galéré pour produire ?

François Joncour : On fait ça sur nos moyens personnels, on bosse à côté, on fait des concerts, mais en gros faut se débrouiller seul pour payer les gens qui bossent pour nous. On est contents d’être bien entourés, par le label d’une part, et puis on a une personne qui nous suit depuis deux ans, nous épaule sur la logistique, moralement aussi.

ADA : Les textes, l’écriture ça se passe comment ?

François Joncour : Des mots, des bouts de phrase, une sensation, il n’y a pas grand chose d’écrit avant, souvent ce sont deux ou trois mots qui débloquent le processus, ça se construit au fur et à mesure en fonction des pulsations, du rythme de la chanson, parfois une phrase débarque et change le morceau. La majeure partie du temps la musique est là en premier et amène une ambiance, on a beaucoup travaillé le rythme des mots, des phrases, le phrasé par exemple sur « Mirages » la chanson qui a été clipée, il y a eu beaucoup de versions…

ADA : La scène ?

François Joncour : On aime de plus en plus la scène. On commence à trouver un plaisir à être sur scène. On fait du live depuis déjà quatre ans, on a eu un premier concert assez catastrophique, on a essayé beaucoup de choses avant de trouver la bonne formule. On a aussi constamment été amené à adapter notre set en fonction des lieux d’accueil : entre des squats, des salles de SMAC ou des appartements dans lesquels nous devons jouer en acoustique, cela ne facilite pas les choses. D’autant plus que notre musique n’est pas évidente à reproduire, sur scène on est même parfois trois avec un batteur, mais par exemple pour le lancement aux Trois Baudets nous n’étions que deux. Du coup c’est un peu moins nerveux, plus intime même si on essaye de garder de la tension mais on l’aborde sous un autre angle.

ADA : Finalement pour vous ce disque est déjà un peu « loin »…

François Joncour :Oui, on travaille déjà sur des nouvelles choses, ça va surement contaminer un peu les live, d’ailleurs, les chansons restent les mêmes mais on a déjà enclenché un autre processus de création donc ça devrait se sentir un peu… Déjà des traces de nouvelles idées… Tout doucement on fait émerger quelque chose qui commence à prendre forme, de nouvelles perspectives parfois en réaction déjà à ce premier disque. C’est assez inévitable avec ce décalage d’une année entre la fin et la sortie. On a traversé chacun des choses, écouté de nouveaux trucs, trouvé de nouvelles lubies, donc le live sera surement coloré par ces nouvelles idées.

ADA : Après Paris vous tournez un peu ?

François Joncour : On essaye de monter des dates mais ce n’est pas simple. C’est devenu compliqué, de moins en moins de lieux, une économie du disque morose, pas de budgets. D’un autre côté on a une liberté de création plus forte si on veut voir le positif, on fait ce qu’on veut, on peut prendre des risques, si on veut faire un album complètement différent pour le deuxième on le fera, personne pour nous dire « attention à ne pas dérouter vos fans ». Après, on espère que petit à petit des gens vont suivre notre parcours bien sur, on a envie de proposer un parcours intéressant et cohérent pour le public. Mais pour en revenir à la scène oui c’est difficile de trouver des lieux dans le contexte actuel.

ADA : La suite justement c’est pour quand ?

François Joncour : Entre la recherche de dates, et reprendre un processus créatif, il va maintenant falloir qu’on se mette la pression, on n’a pas de maison de disque pour nous mettre des échéances ; mais je ne suis pas inquiet, il y a une envie et aussi une nécessité artistique, c’est notre moyen d’expression, donc ça va venir…

Photo : Gilles Pensart