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L’esprit rock français suinte aujourd’hui le professionnalisme et la poésie d’inoffensifs ironiques. Trop de concerts réglés dans le moindre détail, où la peur du danger reste une notion catégoriquement exclue. Trop de prestations où la musique compte finalement moins que le souhait de recevoir déluge de compliments à l’heure de l’after. Embourgeoisement inconscient, égocentrisme planqué derrière l’amabilité de façade. Grands perdants du rock français : le soufre, la violence, le cul et la haine. Oui, en ce moment, l’auditeur commence à s’emmerder, le public réagit mollement, les groupes et les artistes français n’incitent guère aux glaviots…

Sur disques, c’est pire. Depuis quelques mois, il faut s’armer de patience afin d’éprouver une quelconque émotion. Les albums défilent avec une régularité de plus en plus frénétique, et les trois quarts finissent à la poubelle au bout du troisième titre. Trop de fausses colères (qui se vérifient sur scène où, à défaut de la provocation attendue, ce sont des musiciens tout proprets qui nous accueillent), pas assez de sincérité et de tripes, une chanson française qui pue les Belles Lettres (notoriété publique et médiatique)…

Sans être ce fameux cocktail Molotov qui finira bien par venir un jour, BBH possède déjà le mérite de la discrétion. Pour Alex, multi-instrumentiste aux manettes du projet, il s’agit d’abord de composer une musique sensible, personnelle, et qui se contrefout royalement de l’égo. Pas question, ici, d’écrire un morceau pour étaler son génie à la face d’un monde qui, du reste, n’a pas spécialement envie de se laisser harceler par le forcing Réseau Social. Pour Alex, écrire reste encore une nécessité, un besoin qui transparaît évidemment dans ses compositions…

BBH l’annonçait en 2014 : « Big » n’était que le premier EP d’une trilogie. « Bang » et « Humain » sont aujourd’hui les deux suivants.

Là où « Big » s’avançait cohérent et homogène, ces dernières sorties ne craignent pas les hors-bords, les tentatives et les ruptures tranchées. BBH, toujours dans un format électronique, s’essaye à différentes tonalités et textures… « Bang » est ainsi une (fausse) plage de dix-neuf minutes pourtant constituée de titres épars évoquant aussi bien Mendelson, Vince Clarke, Arnaud Michniak, Matthieu Malon que… Alain Chamfort. « Humain » confirme le brassage des genres ; avec toujours cette incontestable honnêteté et puis l’idée de ne jamais se reposer sur la tranquillité d’une formule à reconduire machinalement.

Très à l’aise dans le dancefloor (entre Moroder et « Speak & Spell »), BBH navigue également, comme au moment de « Big », dans une introspection qui, dorénavant, s’exprime sous deux formes : le spoken word et le chant revendiqué. Etrangement, il y a ici schizophrénie. Si le phrasé parlé permet à Alex de railler ou d’haranguer une colère contenue, le chant accepte l’inclinaison au blues romantique.

Dans le premier cas, facile de ressentir une volonté d’en découdre, de cracher dans la mare. Reste maintenant, pour Alex, à moins canaliser l’obscénité et la fureur. Reste à moins supposer l’avenir que d’insister sur le présent. Tout est là, tout est en place pour jaillir. La langue de BBH pourrait aisément provoquer un bras de fer avec ce quotidien qui nous plombe le moral à tous…

Dans l’optique chantée, là, inconsciemment ou non, BBH tombe parfois dans le syndrome de « la chanson pop française qui ne se positionne pas comme de la chanson française mais qui en est quand même ». La sincérité de l’artiste n’est pas remise en cause. Mais le chanté donne à BBH un petit goût d’uniformité (alors que l’on sait le musicien bien au-dessus de la meute des brebis). Il n’empêche : si un titre tel que « Amour » semble éloigné de ce que l’on attend de BBH, au moins Alex, façon tête chercheuse, ose explorer d’autres horizons que ceux dans lesquels il excelle habituellement et toujours. C’est pour cela, entre autres raisons, que l’on suivra ad vitam aeternam le parcours discographique de BBH…

« Je suis un monstre et ça me va si bien » chante aujourd’hui Alex. Pas si loin, finalement, d’un pistolien « I’m not an animal »…