À croire que douze années d’absence (agrémentées d’attentes et de spéculations diverses) n’ont guère incité le quatuor de Colchester à éprouver une quelconque pression au moment de composer ce huitième album arlésienne. Douze ans ? Plutôt seize, en fait : l’ultime Blur, inégal mais parfois poignant « Think Tank », de par l’absence de Graham s’apparentait bien plus au travail solo d’Albarn. C’est la première surprise ressentie à l’écoute de « The Magic Whip » : Blur enregistre à la cool, détendu, avec amusement et curiosité. Une qualité que l’on doit très certainement à la rapidité d’exécution (dix-sept jours pour écrire puis peaufiner les pistes !) ainsi qu’à l’éclosion surprise d’un album que plus personne n’attendait (y compris Blur).
« Go Out », single avant-coureur à s’en pourlécher les babines, semblait orienter « The Magic Whip » vers le Blur slacker – celui qui ne jure que par Stephen Malkmus et Beck. Fausse piste : dès le sublime « Lonesome Street », ce sont les souvenirs orchestraux de « The Universal » et « This is a Low » qui se ravivent. Une ligne mélodique que Blur ne suivra pourtant pas : libre et désinvolte, « The Magic Whip » évolue ensuite à sa guise, entre fracas électrique (puissant « Thought I Was a Spaceman »), ballade asiatique dépassant les sept minutes (« Pyongyang »), électro Gospel (« There Are Too Many Of Us »), hip-hop Bayou (New World Towers ») ou mantra maboul (« Mirrorball »). De son côté, « Ghost Ship » cite ouvertement un ancien « Mellow Song »… Voici pour le tour d’horizon.
Etrangement, aucun « tube » ne saute aux yeux. La beauté mutante de « The Magic Whip » se trouve également là : comme un best-of de toute la discographie (ou presque) du groupe, ce huitième album refuse la ligne de partage entre singles évidents et titres plus expérimentaux (comme à l’époque de « 13 »). Chaque morceau possède une légitimité naturelle, chaque chanson organise un curieux dialogue avec les titres précédents et suivants. Du coup, une première écoute pourrait donner la fausse impression d’un album somptueux mais décousu. Or, plus l’auditeur en examine les détails, plus le travail de Graham Coxon et Stephen Street apparaît dans sa complexité : d’une collection de chansons inspirées mais autonomes, enregistrées sans ne jamais envisager l’ensemble comme un hypothétique nouveau Blur, la paire producteur a surtout bossé les points de repère, les réponses clin d’œil et la surprise permanente. « The Magic Whip » est un album qui refuse ainsi la dérobade. Au contraire : chaleureux et imprévisible, il dialogue intimement, et avec complicité, avec l’attente du fan originel. Il est encore trop tôt pour savoir si « The Magic Whip » s’apparente à du grand Blur. En revanche, une chose est déjà certaine : il s’agit d’un disque intègre et généreux.