Quand un label fête ses quinze ans, nous applaudissons, nous sortons les disques en regardant le chemin parcouru. Quand c’est We Are Unique Records fête ses quinze ans, nous sortons les disques, déployons les tréteaux pour dresser une grande table et festoyons en parlant de cette belle histoire pas comme les autres. ADA profite donc de la sortie d’une compilation (“Fuck da Hype ! - 2001-2016 - The Best Of” disponible sur bandcamp) pour lui donner les clés de notre webzine, Gerald Guibaud en maitre des lieux nous parle de ses poulains, l’occasion également de dresser un bilan du label, des envies, des craintes, des désirs, des colères…….Troisième épisode : Ichliebelove
Gerald Guibaud :Philippe qui est derrière ce projet, ça fait un bail qu’il fait de la musique, mais il n’avait jamais réussi à sortir quoique ce soit, je sais que les potes de Monopsone ont essayé mais à chaque fois il crashait un disque dur, remettait tout en question….bref quand on l’a découvert, sa démo m’a tout de suite emballé, ça me rappelait un peu My Bloody, les Boo Radleys, avec parfois plus d’électro, parfois plus de rock. Bref c’était vraiment original et unique ! Et puis Philippe c’est une vraie rencontre, quelqu’un de très attachant, très humble aussi. Le premier album Life-enhancing solutions a été long à terminer, Philippe a tellement un cerveau qui bouillonne d’idées qu’il ne s’arrêterait jamais de retoucher ses morceaux !!! Il a fallu trancher à un moment, lui dire que c’était bon, que ça le faisait, bref le rassurer ! Je pense que c’est un des albums où je me suis le plus investi, dans le conseil, l’aide à l’artiste. Comme pour plusieurs sorties du label, c’est moi qui a fait le tracklisting (un rare truc où je suis pas mauvais). Au final, j’aime beaucoup cet album, c’est un album de fan de musique, qui rend hommage à ses influences sans les singer, les piller. On a fait aussi intervenir JC des Hiddentracks aux cuivres, ça donne encore plus un petit côté Boo Radleys (l’un des meilleures groupes anglais de 90’s soit dit en passant !!!). Sur son deuxième album, que vous avez été l’un des rares à soutenir l’an dernier (encore merci pour ce titre d’album de l’année), Philippe m’a étonné : aller comme ça sur de l’électro et être crédible alors qu’il ne vient pas de là… Wax & Wane est vraiment le genre de musique électro que j’adore : faite par des rockeurs qui ne sont pas dans ce milieu. Il aurait vraiment du avoir du succès, putain BJL, Natural et I saw him ce sont de sacrés tubes. Le souci c’est qu’à chaque fois qu’on a sorti des albums électro, la presse spécialisée dans ce style de musique n’a jamais daigné les chroniquer ou en parler. Encore une fois, je le dis et me répète, il y a des chapelles dans ce pays, si tu viens de la scène électro, tu seras écouté et exposé, si non aucun espoir pour toi…Nous vu qu’on est identifié label plutôt rock indé, nos sorties electronica ont toujours été celle qui ont le moins bien marché en terme d’accueil critique et donc en ventes. Ce constat me désole vraiment. Par comparaison, aux US, Secretly Canadian peut très bien sortir un Jason Molina un jour puis un Major Lazer le lendemain, et cet éclectisme choque personne.
ADA : Tu peux nous parler de la pochette du dernier album qui ne ferait pas tache dans celles de Sebadoh par exemple. Comment celle-ci s’est imposée à vous ?
Gerald Guibaud :La pochette a été réalisée par Romain Barbot (iamsailor.com) un jeune graphiste toulousain également très actif dans la musique puisqu’il était membre des excellents Montreal on Fire, et il est impliqué dans une multitude de projets (Saåad, Foudre !…) dont le label BLWBCK (blwbck.com). J’adore ce qu’il fait, il est vraiment brillant dans l’utilisation de différents médias (photos, collage, dessins, typographie). Quand Philippe a eu fini l’album, je lui ai proposé différents contacts de graphistes avec qui on avait déjà bossé. Il a des suite flashé sur le travail de Romain ! Philippe voulait une pochette avec une ambiance un peu poisseuse, mais pas forcement glauque, hédoniste. Il avait écrit un cahier des charges d’une page et Romain a donc cherché dans ses photos pour trouver quelque chose qui correspondait. Et quand il a trouvé la photo, c’était exactement ce que voulait Philippe ! Effectivement ça fait pochette très oldschool indie lo-fi à la sentridoh/sebadoh…J’aime le contraste avec la musique, ça ne correspond pas de prime abord avec le contenu plus électro, mais au final quand tu captes bien le propos de l’album, tu comprends la pochette ! Et puis comme je le disais, c’est un album électro fait par quelqu’un qui ne vient pas de ce courant mais du rock, et donc il était indispensable de casser les codes de l’électro avec un visuel (du genre avec des formes géométriques et des couleurs flashy) qui n’est pas assimilable directement à ce style musical !
ADA : Je suis étonné de lire que vos sorties électros sont celles qui marchent le moins (perso 0° La lie de la société est par exemple l’un de mes morceaux préférés du label et des compilations ADA). Tu perçois encore ce cloisonnement des styles dans « notre beau pays » ? Et as-tu des retours à l’étranger sur ce dernier album de Ichliebelove par exemple.
Gerald Guibaud : Bien sûr que c’est cloisonné. Tout n’est affaire que de courants, de modes. Regarde en ce moment, il y a un retour de la chanson indé en français, l’electro à la french touch 2.0 qui continue à s’exporter et bien marcher…Nous on est étiquetté label rock indé (avec chant en anglais), et on ne doit pas être crédible auprès des médias spécialisés lorsqu’on sort de l’électro. Et puis nos sorties électro sont pas trop orientées dance music, pas faites pour les clubs, or c’est surtout ce style là qui prédomine le marché, hormis quelques exceptions. Pour ce qui est de l’étranger, ça fait longtemps qu’on a laissé tomber. Je pense que l’échec d’Oulipo Saliva en licence chez Chemikal Underground nous a montré que c’était quasiment mission impossible. De plus avec la crise du disque, plus aucun distributeur ne signe de label étranger, donc sans distribution c’est difficile d’exister vraiment en dehors de ton pays. Il te reste le web, les réseaux alternatifs, la distribution en digital mais l’offre est tellement grande et la concurrence telle qui si tu n’as pas beaucoup de moyens comme nous, tu ne pourras pas faire grand chose pour être visible.
ADA : Wax and Wane s’est imposé à nous dans la rédaction de façon évidente et rapide. Le manque de retour ne s’explique pas par l’abondance de sorties (nous en sommes victimes, nous passons à côté de plein de bonnes choses) et la vie, la défense d’un disque n’est elle pas maintenant un travail plus long sachant que la mise en place dans une grande enseigne commençant par F et ne finissant pas C n’est de toutes les façons plus pour les indépendants. En gros ne faut pas penser une sortie comme le départ d’un marathon là où avant c’était un sprint et qu’il fallait être à bloc dés le départ (PS : si la question est longue, chiante et sans intérêt tu peux zapper (o :)
Gerald Guibaud : Oui tu as raison, nous devons nous inscrire dans la durée. Nous faisons un travail de fourmis, et comme je dis souvent, peut-être que certaines de nos sorties qui n’ont pas trop marché seront redécouvertes dans plusieurs années…en tout cas je le souhaite, ce serait vraiment dommage sinon... c’est l’histoire de la musique, cela a toujours été comme ça et c’est un éternel recommencement.
ADA : Philippe travaille déjà sur la suite, et si oui ce sera la suite du fantastique Wax and Wane ou une nouvelle direction ?
Gerald Guibaud : Oh Philippe a déjà sûrement plein de nouveaux morceaux en chantier. On verra ce qu’il en sort, mais comme toujours, je m’attends à être surpris par la direction qu’il prendra. Son esprit ne tient pas en place et bouillonne de créativité, parfois même difficile à canaliser ! ;D
Ichliebelove sur les compilations ADA