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« Dans l’affection et le bruit neuf », c’est pas ces mots que commence l’album et, dans l’art et la manière utilisées par Karton pour s’approprier l’univers du poète, il s’agit précisément de ces deux éléments conjugués qui font que l’album prend corps. L’affection car il s’agit avant tout d’un album d’amour, et d’amitié. Un peu comme si Karton nous dressait le portrait d’un personnage connu en toute intimité, avec qui il aurait partagé de longue date ses joies et ses peines, vécu la bohème et les errances amoureuses. Arthur et Michel (Karton) ne font qu’un. Ce n’est pas un album d’adulateur aveuglé, il s’agit bien de douze titres amicalement déposés sur le cœur encore palpitant du poète. Il s’agit d’un album fraternel. Et naissent ainsi autant de chansons distillées dans l’alambic d’une mémoire commune, même s’il s’agit de territoires différents : les Ardennes pour l’un et les volcans d’Auvergne pour l’autre. « L’amour infini me montera dans l’âme » chantent-ils dans le très beau « Sensation ». Un ami, une aimée, il y a bon nombre de rencontres à faire tout au long de l’album. Dans le monde réel et pourtant romanesque : « une demoiselle aux petits airs charmants sous l’ombre du faux-col effrayant de son père » ou dans le monde des mythes comme celui de la chevelure d’Ophélie dont le corps flotte lentement sur le fleuve. Une chanson inaugurée avec superbe par quelques vers du Bateau ivre. Et avec l’affection, va le bruit neuf. Car Rimbaud n’est pas seul. Karton l’accompagne en rockeur. Et c’est ici gageure et réussite que d’affirmer que Rimbaud était bien le premier rocker de l’histoire et qu’il méritait pour lui seul un album empreint de cette musique. René Char l’exprimait ainsi : « Rimbaud est le premier poète d’une civilisation non encore apparue ». Un siècle d’avance, peut-être deux, et c’est dans cette musique que pouvait le mieux s’accomplir son désir de liberté. Karton accompagne Arthur avec bienveillance, bien souvent sur le tempo d’une marche lente, comme si nous suivions les pas que le poète avait tracés dans la campagne ardennaise. Allant lentement, mais sans entraves, pour laisser une trace de son passage, en dissipant la brume de l’inconscience juvénile, pour faire apparaître ce bruit neuf surgissant de l’évaporation du vieux monde. Ainsi, Karton, pour nous emmener en belle compagnie, choisit des sons épurés, une électronique discrète et subtilement étagée. Puis c’est une guitare rageuse que l’on perçoit lointaine comme un orage qui semble sourdre pour mieux éclater au grand jour, comme dans « Oisive jeunesse » qui est pour moi le morceau phare de l’album. Rimbaud fut avant toutes choses un enfant conteur d’histoires, suivi d’un adolescent qui connaissait tellement les secrets de la nature du monde qu’il ne pouvait les garder pour lui seul. Il lui fallut en livrer la beauté (comme dans les premiers vers) et parfois l’horreur (comme dans les Illuminations). Il ne manquait plus que musique ! Et Karton de poser quelques claviers qui s’étirent dans l’imaginaire, et une voix retenue, juste en deçà du lyrisme, pour ne pas tromper son auditeur, pour ne pas l’emmener trop vite. Le parti pris, dans l’agencement des titres, est celui de la narration qui prend le pli du poète dont on suit les errances. Karton nous invite à ne pas mûrir trop vite, à garder notre part d’enfance, pour découvrir petit ce que l’homme a cru voir. Et même si Rimbaud était le prisonnier de cette terre ardennaise parfois hostile, c’est de cette même terre qu’il a pu extraire le matériau premier de sa création. C’est dans cette glaise de l’enlisement qu’il a pu sculpter ses visions, comme autant de héros du hasard, de ceux que l’on peut croiser dans les poèmes de Rimbaud : amoureux ridiculisés dans les cafés tapageurs, corbeaux délicieux tournoyant dans le ciel torve, suicidée se baignant dans le poème de la mer, pendus invités au bal et charriés par le vent. Et l’ennui qui pousse à boire et à se confondre avec l’ivresse. Et à Karton de rendre hommage à ces mal-aimés, ces malhabiles, ces disgracieux, qui peuplent le Pauvre songe. Mais à tous ceux-là de n’être finalement plus qu’un. Un autre Je. Un pauvre songe qui tirerait vers la lumière de l’éveil bien plus que vers les profondeurs de la désillusion.




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