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Il y a un certain plaisir et une certaine paresse dans cette chronique, Aout est là, étrange comme cette année, peuplé de langueurs et de peurs, le confinement a stoppé beaucoup d’écrits sur la musique, et beaucoup de bonnes choses n’ont finalement pas eu mes mots pour les remercier d’être. De ce fait, j’écris cette chronique sur une feuille où j’avais commencé à balbutier sur « The howl and the Hum », mais arrêté sec par milles raisons insipides, je reprends dans un autre sens mon beau travail de narrateur des sons. Ceci est la paresse, et ce plaisir dont je parle, c’est celui de pouvoir enfin parler de ce groupe d’une élégance de velours et d’épines cachées qu’est Elysian fields. Les New-yorkais reviennent, sans jamais être partis, 12 disques jusqu’ici (dont le fabuleux parfait « Dreams that breathe your name » en 2004 qui m’avait accroché l’âme.). Ce treizième opus de Jennifer Charles et Oren Bloedow arrive enfin, vernis de la patine du temps, toujours aussi élégant et sombre, d’émotions dépurées et sonorités originales (où vont-ils chercher ces instruments… Piri ???).

Ces créateurs soucieux de la culture générale du monde nous proposent un disque concept autour de ce classique de la littérature chinoise « Dream of the red chamber »- Le rêve dans le pavillon rouge- énorme dans tous les sens livre de Cao Xueqin que je vous recommande si vous avez plusieurs mois d’affilés à ne rien faire d’autre. Nos amis de Brooklyn ont eu vraisemblablement le temps de lire tous les récits fleuves inclus dans ce livre et en tirer de chacun une mélodie et unes sensations admirable, sans tomber dans le résumé ni trop s’éloigner de l’idéologie ( Rougeologie) qui émane de ces écrits.

Le disque n’est certes pas si volumineux, mais il diffuse des moments intenses et lumineux en creusant dans les brèches de l’ombre, jeux favoris du duo, dans un calme et sagesse tout a fait orientaux, ils définissent les notions de destinée, de perdition, et la dépendance de l’être aux choses, aux autres et aux amours. Le disque reflète alors parfaitement notre époque, transférant ces narrations à nos jours dans des chansons faites d’éclairs et de vents, on y rencontre l’odeur du soufre et le parfum des ailleurs, un exotisme sage, qui nous colle littéralement aux voyages de ce texte. La réussite est alors ce transport de nos esprits, cet art qu’a le groupe de projeter a chaque disque nos vies à l’extérieur de nous, dans des sonorités électro-acoustique qui jouent entre langueur et angles saillants de guitares. Ça-et-là se trouvent des feux-follets imprimés dans les mélodies qui nous tiennent éveillés dans le rêve, et sur la peau lisse de l’œuvre, sortent les griffes d’un accord, d’une touche, d’une intonation de la voix (si belle). Mais ce style, nous le connaissons et le reconnaissons à chaque nouvelle offrande d’Elysian fields. Tout alors se suit et se poursuit, l’engrenage des chansons force un crescendo dans le calme général, la voix se sucre peu a peu, les mélodies s’amplifient jusqu’à ce dark semi-tempo d’ « An outsider undeserving of love » où explose tout l’art du groupe, ce talent acquis au temps de faire briller l’obscurité en usant des instruments comme des pansements aux âmes, sans cacher les épines ni les nerfs, dans une vérité sonore qui fait un bien fou. Loin de moi l’envie de parler d’un disque trop calme pour être aimé, il a ses lames et il a ses obus « A life misspent », et puis son côté oriental-exotique « Union of enemies » qui nous grave encore plus dans la thématique, des chansons qui ont un attrait particulier, qui donne le relief à un disque qui pourrait avoir glissé facilement dans la monotonie des larges plages. Mais Elysian ne sont pas de ce genre, et encore une fois, ils réussissent dans l’art de nous faire aimer jusqu’aux silences entre les chansons, quand l’esprit demande à nouveau le son.