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Dimanche soir. Les restes fument encore sur la table de la cuisine, les poules se régaleront demain probablement en complément des graines. Une tisane et la question s’impose ; finir un des innombrables bouquins entamés qui pourraient s’unir dans une histoire improbable, regarder un match de foot en streaming illégal, jouer à la console, écouter de la musique pendant que la junte féminine de la maison se pâme devant un film de super hero. J’en fais un beau de super-héros quand même dans le fond. J’ai passé plus de temps en couple avec la même femme que seul. C’est fou de le penser comme une performance, comme si tout cela me promettait une médaille comme on donne à ceux qui arrivent à vivre plus de vingt ans avec la même patron. Le choix est fait, ce sera foot et musique en attendant le générique de fin du film pour que la maison, enfin, s’endorme et que je puisse tenter de m’assoupir pour pourquoi pas rêver, je peux toujours y croire.

Je ne connais pas la situation matrimoniale de Joseph Bertrand. Je ne sais pas s’il collectionne les médailles d’honneur, si lui aussi mange des restes le dimanche soir, s’il a des choix cornélien à trancher alors que la nuit tombe et clôt le week-end, ou s’il se transforme en super-héros pour sauver la veuve, l’orphelin et pourquoi pas les Roméo jonchant les trottoirs délaissés par des Juliette volatiles. Ce que je connais de Joseph Bertrand, c’est ce qu’il nous propose depuis pas mal d’années (et ce n’est pas un reproche, la durée n’en n’est pas un) via Centredumonde, une œuvre pas aussi nombriliste que le nom pouvait le laisser penser, enfin, je l’espère pour lui. En même temps pourquoi l’espérer tant ses chansons résonnent chez moi, inexplicablement, ayant trouvé l’amour sans l’avoir perdu, même la passion est encore là, conjuguée de façon différente. Impossible de parler de cynisme, on ne parle pas d’amour comme cela, même dans son approche la plus brute, sans conjurer le sort de notre époque, lui préférant une véritable mélancolie, froide, mais recouvrant tout.

Mais pourquoi en savoir plus sur lui ? Demandons-nous à Mathieu Chedid s’il mène une vie chiante pour écrire des chansons du même tonneau ? Centredumonde est un chroniqueur contemporain des amours d’aujourd’hui avec une forme de nostalgie appuyée (le roi de la reprise est là, même Eurythmics y gagne des lettres d’une noblesse qui pouvait nous échapper.) par une musique qui a trouvé sa moitié dans les signaux des insubmersibles d’une période sans laquelle nous ne serions peut-être pas aussi mélancoliques, la corde au coup comme horizon, au figuré, mais parfois au propre.

Centredumonde, signe un nouvel EP, un acte à la gratuité qui nous fait prendre cher, payant l’addition, entre les frais d’incinération de Ian Curtis et les ardoises de Jacno en vadrouille avec un Daniel Darc apaisé, mais brûlé. L’âme au fond, sur le toit de notre monde en perdition.

A noter, l’artwork extraordinaire du Gildas Secretin.