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En mars dernier, Patrice Lecot retrouvait Florent Marchet juste avant un concert donné au Théatre du Seuil à Chartres dans le cadre de sa tournée « L’Avantour ». L’occasion de prendre de ses nouvelles et de lever le voile sur « Garden Party », son nouvel album paru depuis.

Patrice LECOT : Notre dernière entrevue, c’était en 2011, juste avant ta venue à Amboise pour la tournée de « Courchevel ». Mais je garde un souvenir le plus marquant encore de l’interview qu’on avait fait avant en 2009, à côté de Tours. C’était dans le même contexte, en formule piano-voix, tu rodais les chansons de Courchevel quelques mois avant la sortie du disque et en primeur j’avais eu droit à ces nouveaux morceaux et le grand souvenir que j’ai c’est le morceau « Roissy » que tu m’avais fait écouté après le concert avec ton Ipod où j’ai découvert le titre avec la voix de Jane Birkin. Ça reste un bon souvenir cet album pour toi ?

Florent MARCHET : Oui. Chaque album a sa part de joie et de difficulté. Ce n’est jamais totalement idyllique mais ça c’est monté assez difficilement cet album parce que je n’avais plus de maison de disque, j’avais juste un petit tourneur qui me soutenait à l’époque et on s’était dit que la meilleure façon de remonter en selle et sur scène c’était de faire - pour la première fois de ma vie- des piano-voix dans des tout petits lieux. C’était bien, ça re-cimentait un peu le rapport avec le public et puis par la suite on a fait une énorme tournée – plus de 120 dates – c’était assez énorme, plutôt chouette : une bonne période. Et puis depuis, c’est vrai que je n’ai plus du tout fait de « piano-voix » en solo puisque l’album « Bamby Galaxy » ne s’y prêtait pas. Il y a eu « Frère Animal » et surtout l’envie n’était absolument pas là...pas présente. Je pense qu’après le 2ème « Frère animal » et même aussi avant avec « Bamby Galaxy », je n’avais plus forcément le désir de chanter. Clairement dans ma tête je me suis dis que j’allais arrêter, non pas d’écrire des chansons, mais de les chanter, d’être chanteur. Je ne me sens pas assez à l’aise dans ce rôle là, ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Ce qui m’intéresse c’est d’écrire et de composer, d’être en studio, de faire des musiques de film...écrire un roman - je suis en train d’écrire le deuxième - donc c’est plutôt ça. Et puis étonnamment j’ai commencé à travailler avec une amie qui est coach vocal pour des comédiens et elle me tannait depuis des années en me disant « tu ne veux pas qu’on prenne quelques cours de chant » ? Et moi j’ai répondu « Non, je chante rarement » (je ne chante jamais dans ma salle de bain ni dans ma cuisine) et je chante uniquement sur scène et « sous la contrainte » (rires). C’est arrivé au moment où j’avais un petit peu envie d’arrêter de chanter, de faire autre chose. J’ai pris ça un peu comme certains commenceraient à faire du yoga ou de la méditation ou du sport.. Et puis il se trouve que ça m’a peut-être connecté pour la première fois avec ma voix, et de manière concomitante j’ai commencé à écrire des chansons pour moi alors que ce n’était pas du tout dans mes projets. Je venais de terminer l’écriture du roman (il n’était pas encore sorti), j’avais pas mal de projet de musique de film...donc ce n’était pas du tout en projet l’histoire de faire un album. Entonnement, peut-être que c’est survenu par la voix. J’ai commencé à écrire ce que j’appelle des « chansons de quartiers » et puis je les ai chanté devant mes enfants, ma famille parce qu’ils m’entendaient répéter et puis ils m’ont demandé de rejouer tel ou tel morceau... J’ai continué à faire cet exercice là, de jouer en petit comité en famille ou avec des amis, parce que pendant le confinement j’étais beaucoup au piano, c’était aussi une façon de lutter contre le climat anxiogène ou ne je sais pas... Entre-temps j’ai fait beaucoup de lectures musicales avec Nicolas Mathieu, avec Serge Joncour et des tas de gens, durant lesquelles on mettait en miroir les extraits des romans avec mes propres chansons et dans ces cas là, je jouais dans le plus simple appareil, en « piano-voix ».

Déjà, beaucoup d’amis m’avaient dit « tu devrais faire des concerts » « piano-voix » et je me suis dit « ça va faire chier tout le monde », je peux faire un truc comme ça de temps de temps mais il n’y avait pas l’envie. Et puis ça (plus ce travail au niveau vocal), ça m’a vraiment remis en selle et j’ai eu vraiment très envie rapidement de ne refaire que des « piano-voix » et j’ai failli enregistrer l’album entièrement comme ça. En tout cas, je l’ai enregistré un peu de cette manière en passant par des conditions un peu live sans métronome ; de manière totalement libre et après on a beaucoup retravailler dessus. J’ai passé quatre jours sur tous le titres en piano-voix et puis après j’ai travaillé pendant cinq mois sur ces morceaux là, ça a pris un temps de dingue comme à chaque fois. J’ai le fantasme d’enregistrer un album en 15 jours et puis ça se termine toujours en plusieurs mois...c’est ma vie, c’est comme ça. En tout cas, je suis revenu à la chanson avec une envie de raconter des histoires, de dépeindre le monde qui m’entourait et de le faire encore plus égoïstement que d’habitude. Pour moi d’abord, un peu pour mes proches et puis je suis content de le partager parce que c’est la première fois que je me sens aussi bien sur scène.

PL : Ce nouvel album n’a pas été retardé à cause du confinement puis qu’entre-temps il y a eu ton livre, des musiques de films et des lectures musicales. Il sort en milieu d’année, c’est bien ça ?

FM : Il sort le 10 juin et il va s’appeler « Garden Party ». Il n’a pas été retardé à cause du confinement mais un peu quand même... C’est à dire que l’enregistrement est terminé et même mixé et mastérisé depuis début décembre. On a voulu choisir la meilleure période pour que je puisse aussi me préparer, pour monter une petite tournée en amont, qu’on a appelé « l’Avant-tour » et j’avais à cœur de faire ça. Du coup l’album ne pouvait pas sortir en début d’année car je tenais à me reconnecter avec le public et à jouer les chansons de manière très intimiste sans qu’on acte une sortie avec toute la promo qui va avec. J’ai même refait des concerts en appartement. Je voulais faire des choses comme ça, sans qu’il n’y ait forcément d’album. C’est un peu mon rêve pour la suite : arriver à jouer des chansons qui ne sont pas encore enregistrées devant un public et faire évoluer les morceaux en modifiant les couplets par exemple. Je rêve de tourner un peu comme ça... J’ai lu beaucoup les livres de Serge Joncour, qui s’est forgé une réputation d’écrivain assez populaire maintenant parce qu’il a énormément sillonné la France seul. Il a rencontré beaucoup de monde dans les librairies ou les médiathèques. Il me racontait toutes les rencontres qu’il pouvait faire en étant seul puisqu’il arrive avec son petit sac dans n’importe quel village où il est invité -il en a d’ailleurs fait un livre « L’écrivain national ». Je l’admirai mais je ne l’enviai pas du tout. Je me disais que je serais incapable de partir seul sans avoir un régisseur à mes côtés. Avec cette tournée, c’est la première fois que je suis autonome parce que la fois où on s’était rencontré pour cette tournée solo de « Courchevel », j’étais quand même accompagné d’un ingé-son qui faisait la régie, mais quand on est seul sur la route on ne rencontre pas les gens de la même manière et on rencontre plus et plus fort. J’en ai parlé avec des programmateurs pendant cette petite tournée et ils étaient surpris en me disant « on n’en voit plus des chanteurs qui arrivent tout seul avec leur sac ». De ce fait, il ne me laisse pas tout seul, on discute, on a des moments d’échange et je ne pensais pas que ça me plairait autant. Ca m’a beaucoup plu.

PL :Après cette trentaine en date en solo, la « grosse » tournée sera pour l’automne. Est-ce que ce sera les mêmes musiciens sur scène avec toi que ceux qui t’ont accompagné pendant l’enregistrement de l’album ?

FM : Non. Sur le disque, tout était centré autour du piano. Il y a parfois jusqu’à 3 pianos différents et des percussions autour du piano. On a essayé de faire en sorte que ce ne soit pas naturaliste. Avec l’ingénieur du son Loris Bernot on a beaucoup travaillé sur le son et puis il y a eu des intervenants comme François Poggio qui est venu faire quelques guitares, Raphael Chassin qui a fait quelques percussions et puis il y a pas mal de cuivres sur l’album et puis il y a aussi du Christal Baschet et du thérémine, des instruments un peu étranges joués par Marc Chouarain. Pour la scène, je veux garder le côté intimiste que j’ai sur cette tournée actuellement parce que ça me convient bien. Il y aura une deuxième personne sur scène avec un petit décor et une scénographie mais le musicien avec moi sera multi-instrumentiste, ce qui me permettra d’avoir certaines rythmiques que je ne peux pas avoir tout seul.

PL : Dans tous tes albums il y a un lieu, un climat, une atmosphère...Qu’en est-il de cet album, même si la pochette très colorée annonce déjà un peu la couleur ?

FM : C’est un album qui pourrait se passer dans les quartiers résidentiels en France, à l’image des fameux suburbs aux États-Unis mais à la française. C’est une sorte de carte-postale sociale des ces banlieues là : des gens qui se frôlent, qui se croisent mais qui ne se connaissent pas et qui ne s’adressent pas la parole. Je crois qu’il y a plus de 90% des français qui rêvent d’avoir un pavillon parce que ça rassure... Je dis ça mais je vis aussi dans une maison en pavillon, donc je sais de quoi je parle. Mais je parle aussi de l’envers du décor parce que dans toutes ces maisons, on essaye de montrer que tout se passe bien ; il y a beaucoup de « paraître » qui est très proche de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, mais qu’est-ce qui se passe derrière ces murs ? C’est pour ça que la pochette de mon album est très colorée mais pour ce qui est des chansons, c’est tout l’inverse parce que je montre l’envers du décor possible, ce que je fais souvent. J’ai été très marqué lorsque je faisait de la philo plus jeune par une phrase de Sartre qui m’a guidé tout le long de mon parcours artistique qui disait « on a tendance à regarder dans les yeux brillants d’un enfant l’amour qu’il porte à sa mère alors que ça peut tout aussi bien être le fait qu’il vienne juste à l’instant de crever les yeux du chat »... Il y a cette part de cruauté et d’inhumanité qui existe aujourd’hui chez les hommes et les femmes. C’est ce côté là que je veux montrer.

PL : Pour revenir aux concerts : y a-t-il certains titres que le public te réclame plus que d’autres parmi ceux des albums précédents ?

FM : Oui, « Le terrain de sport » par exemple. Il y a des passages « obligés » pour moi parce que je tiens à ces titres là. On me demande aussi des titres que je n’ai plus du tout envie de jouer : « La chance de ta vie », « Son idole » ou « La famille Kinder »...

PL : Parce que ce sont des titres qui ne te ressemblent plus ?

FM : Oui, peut-être que j’ai envie de chanter les choses autrement. Honnêtement, j’écris tout le temps la même chose depuis le début, simplement je change l’angle de la caméra ou un peu le décor et parfois je me dis que sur telle ou telle thématique, je préfère ce que j’en dit aujourd’hui. Par exemple, il n’y a aucune chanson de « Bamby Galaxy » dans les concerts que je fais en ce moment. J’y reviendrai mais ça ne c’est pas trouvé. « Héliopolis » par exemple, dans ce que je racontes là, n’a pas sa place. Ca marche bien avec la thématique de l’album « Bamby Galaxy » mais de manière isolée, ça ne trouve pas sa place au milieu des nouvelles alors qu’ il y a quand même des chansons de Rio Baril qui trouvent leur place.

PL : La suite de la tournée, ca s’annonce comment ?

FM. Il y a encore quelques dates jusqu’en juillet. Toutes les dates seront en solo. Après j’arrête et je recommence en septembre en groupe. Il y aura beaucoup de nouvelles chansons mais c’est marrant, j’en ai enlevé depuis. Sur les premières dates, je jouais tout le nouvel album...et puis au fur et à mesure j’ai réintégré des titres comme « L’eau de rose » que je ne jouais plus.

Il se trouve que j’ai une mémoire qui me fait défaut depuis des années et ça ne s’est pas arrangé donc c’est assez dur pour moi de retenir les paroles des chansons...Quad on est chanteur et qu’on monte sur scène, c’est important. Si j’arrête de répéter pendant quinze jours, il n’y a plus rien. Je suis incapable de rejouer. J’adorerai connaître 50-60 chansons et arriver dans une ville en me disant que je vais piocher pour faire ci, faire ça. C’est très frustrant quand le public me demande une chanson et je me dis : non seulement je ne connais plus le texte mais je ne sais même plus dans quelle tonalité c’est ...Quel accord ?...rien ! Parfois je vois vaguement ce que c’est,... c’est terrible. Mais là, il y en a quand même pas mal : une vingtaine.

PL : Mais tu ne joues pas tout le nouvel album ?

FM : Non, mais beaucoup quand même. Entonnement, il y a même une chanson, qui ne sera pas sur ce nouvel album, que je faisais au début. En la jouant en live, je trouvais que c’était pas mal mais à force de jouer ce morceau je me suis dis « c’est pas si bien » et elle a fini par disparaître de l’album !

L’intégralité de cette interview est disponible en version audio dans le dernier numéro d’Encore Autre Choe