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Simplifier ? Mais simplifier quoi ? C’est justement par la sécheresse de ses premiers albums épurés, au verbe par ailleurs riche en images fracassées qu’un Raymond Carver (dissection à la loupe des rapports humains) ou un Charles Bukowski (gaudriole érigée en mode de vie, sur fond de lucidité cruelle) auraient fortement appréciées, que le Finistérien s’était fait connaître au milieu des années 90, proposant avec ses comparses Guillaume Jouan et (l’excellent) Bruno Leroux, une version tolérable de la chanson française, quand cette dernière, à son habitude, ne savait pas s’accommoder de l’essence même du rock’n roll, qui est non pas de se montrer bruyant et bordélique, mais bien de savoir faire un pas de côté.

Le rock, et le punk, mais aussi le reggae, c’est avant tout le décalage, et en ce sens les premiers pas de Miossec l’emportèrent dans une cavalcade de chansons qui surent toucher en plein cœur les boiteux sentimentaux et autres piliers de comptoir aux affects plus grands que l’estomac, jusqu’à la sentence prévisible : la fête est finie, le corps cabossé, on range les flingues.

En 1994, je me croyais musicien, je répétais avec le groupe de mon frère cadet dans une salle à Rosporden, dont le père du batteur était le directeur, et il y avait une cassette qui traînait, et comme tout le monde s’en foutait, je l’ai embarquée et je l’ai écoutée et j’ai pris une grosse claque : c’étaient les maquettes des chansons du premier album de Miossec, si simples, si pures, si mélodiques, à l’os quoi, elles parlaient à l’ivrogne que j’allais devenir et me disaient « mec, tu n’es pas seul ». Je suis certain que lorsque Miossec s’est rangé de l’alcool à la fin des années 2000s, il a fait beaucoup d’orphelins.

Comme je n’écoute pas de chanson française, j’ai suivi de très très loin, et sans jugement (les paroles pour Le Taulier) sa carrière : je me suis souviens d’un concert mou au Café de la Danse dans les 2010s, où m’avait traîné ma chouette girlfriend de l’époque, il semblait si vieux, perdu, son corps rétréci sous son béret et malgré l’enthousiasme de Mirabelle Gilis et du groupe qui l’accompagnait, ça m’avait un peu déprimé.

Le temps passe et nous brûle en cri, mais aussi nous éteint, comme si nous devenions sourdine.

La liste des concerts pourris parce que je suis trop con pour dire non / stop / raus à des girlfriends : Vampire Weekend, Asaf Avidan et Théodore Paul & Gabriel (avec l’atroce mec de Louise Attaque en guest star, pas de chance).

Tiens, je vois que sur le douzième album de Miossec, il y a une chanson qui s’appelle Je m’appelle Charles, et elle doit certainement parler de Charles Muzy, le boss du Cabaret Vauban, à Brest, c’est rigolo. Allez, trêve de bavardage, je me lance.

Simplifier, simplifier comment ? Composer avant d’enregistrer, enregistrer at home, utiliser une boîte à rythmes (Elka Drummer One), compenser le timbre de voix devenu blanc et lisse par des effets de réverbération parfois inattendus et coller des boucles de synthétiseurs plutôt dégueulasses.

Harmoniquement, c’est pauvre, le minimalisme n’étant pas le corollaire du minimum – on se souviendra que les Young Marble Giants faisaient beaucoup avec peu, sans rien renier. Reste le phrasé reconnaissable entre mille mais qui aurait mérité de se réinventer, quand les textes ne disent plus rien, mais je crois que c’est le lot des artistes qui capitalisent sur un ou deux gimmicks. Après tout, on a peu à vendre, et souvent le même produit, qui s’adresse toujours aux mêmes : juste soi, soi entier, puis une version dégradée de soi, et enfin une version yoga vegan astrale de soi.

En fait, Simplifier ne simplifie pas grand-chose, hormis le processus de la conception de l’album, qui reste anecdotique – ce qui se passe dans l’arrière-cuisine reste à Dallas : je me souviens d’un album de Palace Brothers enregistré dans une cuisine avec du souffle et deux francs six sous (There is no-one what will take care of you), et tout était empli de musique et d’émotions et ça nourrissait l’âme.

Même le format court de l’album ne joue pas en sa faveur – c’est trop long, trop vide, et stérile.

Merde, il est passé où le sauvageon littéraire et cru qui secoua la chanson hexagonale il y a trente ans ? Certes Miossec évoque en conclusion L’adolescence et ses ratages amoureux, mais ça ne lui permettra pas de se rattraper aux branches d’une mythologie mensongère qui ne fascinera que les esprits amers. Parce que oui, il faut savoir se laisser glisser le long de l’arbre sur lequel on était rêveusement perché, et entamer la route du retour, même si elle n’est pas glorieuse.

Avec Simplifier, Miossec, malencontreux capitaliste de la variété française, se perd en chemin et ne parvient qu’à raviver les souvenirs d’une carrière commencée tambour battant, dans les soutes du Cabaret Vauban, il y a un putain de paquet d’années. J’y étais, c’était chouette, et malgré un énième album anecdotique, il restera en ma mémoire fluctuante ce type hargneux et drôle capable de retourner un public en deux minutes, par la simple et bonne raison qu’il vous fait sentir qu’il pourrait être vous et vous lui et que vos putains d’âmes au vitriol collent, au moins l’espace d’une chanson.




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