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Attention aux prophéties auto-réalisatrices : je me souviens d’une soirée dans les 2000s au Truskel – hautement à la mode à l’époque – durant laquelle ma drôlatique et sexy ex-femme (toutes mes ex sont sexy, je suis un mâle alpha) est tombée nez-à-nez à la sortie des toilettes avec Étienne Daho et s’est moquée de lui : « Ouah, le vioque, tu ressembles trop à Étienne Daho, mais en moche, t’as vraiment pas de chance, en plus t’es ridicule avec ton jean slim et ta veste de costard The Kooples et ton foulard à tête de mort », et lui de répondre avec flegme qu’il était bel et bien Étienne Daho, et moi observant le tout en souriant, parce que rien à foutre des VIP, et que cette nuit-là il y avait dans la place Jarvis Cocker et Julien Doré (mon ex-femme l’a charrié – à raison – sur ses toutes petites jambes) et des tas d’autres types un peu célèbres et que le seul objet de la soirée était non pas de leur adresser la parole et de faire des selfies (ça n’existait pas) mais bien l’ivresse et le temps que tu mettais à te faire servir une pinte de bière de pisse payante au bar et le temps que tu mettais à la pisser gratuit dans des chiottes bondés.

Tirer la nuit sur les étoiles, au Truskel, et aussi au Pop In, on le faisait soirs après soirs, sans le vouloir, sans le savoir, dans une joie sauvage et alcoolisée, c’était inattendu, on en profitait, le rock redevenait à mode, sous forme d’anti-folk barbu à deux balles (Herman Dune & cie) ou de songs tirées au cordeau (Interpol, Bloc Party, The Strokes, etc.), et les filles étaient encore plus ou moins désirables – depuis, c’est synthétiseurs MIDI, vêtements informes, ânonnements et cheveux gras, haine de l’épilation patriarcale et méfiance à l’encontre de tout ce qui ne nous ressemble pas, discours fallacieux, la haine facile.

Tirer la nuit sur les étoiles, le titre du douzième album d’Étienne Daho, enregistré entre Paris, Londres et Saint-Malo, fait penser aux poèmes sécateurs de l’âme d’un Raymond Carver ou Charles Bukowski, et embarque en matière de références littéraires cette sorte d’immédiateté visuelle qu’en France on n’est plus capables d’atteindre depuis René CharClaude Simon et ses potes d’ennui, la fameuse écriture blanche, aussi blanche que les voix sans relief, qui focalisent sur le nombril quand dehors le monde tonne et gronde, ont transformé la rage en tisane.

Reste à espérer que Tirer la nuit sur les étoiles ne soit pas pour Daho une manière de se raccrocher aux branches, à l’instar d’un Cali en perte de vitesse et en quête de crédibilité qui invoquait l’esprit fin et triste de Richard Brautigan dans son merdique album La vie est une truite arc-en-ciel qui nage dans mon cœur : au début des 2000s, à Brest, dans les coulisses du Vauban, lors d’un malencontreux tête à tête imposé par un de mes miens amis, j’ai conversé avec Bruno Caliciuri, j’ai parlé de William Faulkner et lui de rugby, c’était laborieux, il a fini par me dire qu’il préférerait discuter avec la jolie brune au comptoir, qui de toutes façons n’était pas attirée par lui, mais ça il ne le savait pas encore.

Et donc, ça fait longtemps que je suis sceptique dès lors qu’un chanteur de variétés s’approprie le champ lexical d’une littérature qui ne serait que scintillements : en ce sens, Tirer la nuit sur les étoiles sonne trop goûteux pour être goûté.

Apparemment, le pitch est le suivant : Ava Gardner et Franck Sinatra « sont partis dans le désert. Ils ont bu, pas mal, et ils ont tiré au revolver sur les étoiles. Je trouvais que cette image était très belle, très cinématographique, très extrême, comme quand on rencontre quelqu’un et qu’on a envie de séduire cette personne, on fait des choses un peu folles ».

Franchement, au-delà du gnian-gnian, c’est juste deux crétins bourrés qui s’amusent avec des armes, il y a quoi de fascinant, et surtout d’un peu fou ? Passer le périphérique parisien pour dormir en banlieue avec une fille qu’on aime, c’est bien plus aventureux, non ?

David Grundman est mort à l’âge de 27 ans (coucou le Forever 27 Club – Brian Jones, Janis Joplin et Jimi Hendrix), en tirant à coups de fusil – sa copine venait de le quitter, il était bourré, il avait la rage – sur un cactus de sept mètres de haut, qui le tua en tombant. Voilà ce que Carver et Bukowski auraient aimé raconter, et non pas l’histoire de deux vedettes ringardes allongées sur le capot de leur bagnole, et non pas les textes cousus de flotte tiède et molle d’un chanteur fatigué.

En France, depuis les sixties, les States sont (malheureusement, la poubelle malsaine de l’Europe) un fantasme à échelle myope : la pochette de Tirer la nuit sur les étoiles en est le reflet étrange, coincée entre David Lynch et une intelligence artificielle en roue libre. Il y a dans l’air du parking de fin de soirée, du rendez-vous dans des bagnoles volées, de l’immarcescible non-assumé et des miettes vraiment piétinées de glamour.

En lieu et place d’Ava Gardner, la diaphane cheap Vanessa Paradis ouvre le bal sur la chanson inaugurale et éponyme, à la tension inattendue – The National n’est pas loin, arythmie et pianos en guise de basse, agrémentées de distorsions synthétiques électro lounge : ni le timbre de voix, ni la scansion du natif d’Oran ne changent, repères garantis pour les fans sourds. La pop luxuriante et cuivrée de Boyfriend laisse la place aux homélies : Comme Deux Aimants démarre si bas qu’il ne peut que monter, haut et haut, basse groovy à l’appui, jusqu’au refrain. Claude Lelouch, version trip-hop et orchestrale ?

Oui, il y a des moyens et de l’ambition musicale, normal, c’est Daho, mais Les derniers jours de pluie mettent mal à l’aise : au delà-de la pauvreté du texte et des arrangements, la scansion ridicule nous ramène au pire de la muzak répétitive produite au kilomètre, soupir et sonorités pluvieuses à l’appui. Et ne parlons pas du spoken word électro dégueulasse de Virus X et son refrain à la Alliage. Ni du piano foireux, joué à deux doigts, et des violons cheap de Respire, qui dans son meilleur, le refrain, évoque Dominique A .

Je suis supposé faire quoi ? Faire semblant de vivre à Madchester (Le chant des idoles) ? Attendre le coup de cœur qui ne vient pas ? Sauf que Le Phare, avec ses accords basiques pas du tout recherchés, bah Garou pourrait carrément le chanter, et ça aurait certainement plus de gueule. Le truc, c’est que le mec, quand il chante en anglais (avec Jade Vincent – du duo Unloved), ça fait l’affaire. Le sens de la mélodie est là, oui.

Les petits criminels, électroniquement putassier et médiocre, sur fond de tempo élevé et d’arpèges speed, achève un album d’une banalité abyssale. C’est vraiment par pitié que j’écoute les violoncelles de Roman inachevé, mais les cordes liquoreuses ne signifient plus rien, comme elles n’ont jamais rien signifié, tant elles ne feront pas office d’un passe-droit inventif qui n’existe plus.

Tirer la nuit sur les étoiles est bel et bien - et vainement - un joli titre d’album, hérité de lectures certainement fructueuses et enrichissantes, dont il ne faudra pas oublier d’où elles viennent : ce qui fait toute la beauté des terres d’où sont issues les littératures sanguines, c’est la rage qui a contribué à leurs naissances. Dans la France tiède d’aujourd’hui, le nouvel album de Daho est au diapason : de l’eau du robinet, et pour les plus au régime d’entre nous, du jus de citron, à nous la diète - Bol d’eau au petit déjeuner !




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