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Mais qui est Odran Trümmel ? Huit de silence, pour un musicien, c’est beaucoup et c’est intriguant. Ça sent la cale sèche, la panne d’inspiration, ou la mise en pause pour cause d’abdication (92 % des musiciens abandonnent dès lors qu’ils rentrent sur le marché du travail, en moyenne vers l’âge de 25 ans, ce qui par ailleurs révèle une passion passagère qui se réveillera trente ans plus tard, mais trop tard, bien trop tard), de bébés sautillants ou de job alimentaire, à l’issue de quoi les fameuses répétitions dans le garage deviennent l’objet de moqueries – Gérald, ne pourrais-tu pas demander à tes ivrognes de potes de grandir un peu et de lâcher leurs envies de ressembler à Mötley Crue, demain nous fêtons Thanksgiving chez mes parents, et daddy souhaiterait que tu tondes la pelouse.

Mutants and Loonies, chroniqué en ces pages en 2010, évoquait ukulélé et mayonnaise, et puis le temps passe, Another Records verdit au point de devenir l’un des meilleurs labels underground hexagonaux, dont les sorties souvent nous régalent, Pasta Grows On Trees, Selen Peackock et Bess Of Bedlam en tête (et en cœur). Chemin faisant, Odran Trümmel, après l’inaugural Down Louishill (2005), toujours suivra la voie du samouraï pop, certes sous les radars, mais c’est le lot d’un tas d’artistes magiques : en aucun cas le succès discret ne réduit leur talent.

Planète Tue-Mouche, au titre de série Z que l’on croirait produit par Troma – qui voudrait vraiment regarder Fertilize the Blaspheming Bombshell ou Balboa, Conquistador of the Pacific ? –, attire forcément l’attention du geek rockeur attardé que je suis. J’ai calé dans cette chronique un certain nombre de umlaut, je suis joueur, j’arrête. On va se concentrer sur le nouvel – et cinquième – album du Tourangeau Odran Trümmel. Chansons obliques nourries de folklore dissonant et de world rock free jazz, les compositions de notre Keyser Söze d’un soir s’alimentent autant de Arlt que de Sourdure, dans leur narration foisonnante et leur libéralité maîtrisée. Il y a aujourd’hui en France une grande famille décomplexée, qui ne craint ni Martin Circus ni Gong ni Magma, danse dans les ascenseurs et les pots de fleurs, kiffe les accords en 7ème majeur et chante en chœur dans une chapelle pop bariolée dont les plafonds seraient l’œuvre d’un Odran Trümmel joliment perché. En route pour le désordre, pour le chaos, pour la liberté retrouvée, mes frères !