Enregistré il y a pourtant un an - le 5 novembre 2022 - au Royal Albert Hall de Londres, cet enregistrement live de Chan Marshall recréant chanson par chanson l’un des concerts les plus marquants et transformateurs de son époque, était-il nécessaire ?
Durant ce Manchester Free Trade Hall (mai 1966) - surnommé "Royal Albert Hall Concert" en raison d’une étiquette mal collée - Bob Dylan était passé de l’acoustique à l’électrique (en plein milieu du spectacle). Il avait suscité la colère des puristes du folk et changé à jamais le cours du rock’n’roll.
Chan Marshall au sujet de Dylan : « Plus que l’œuvre de tout autre auteur-compositeur, les chansons de Dylan m’ont parlé et m’ont inspiré dès lors que j’ai commencé à les écouter à l’âge de cinq ans » et aussi : « Lorsque je chantais "She Belongs To Me" dans le passé, j’en faisais parfois un récit à la première personne - "I’m an artist. I don’t look back". Je m’identifiais vraiment à cette chanson », déclare-t-elle.
« Je ne m’attendais pas à ce que le public recrée aussi sa partie du spectacle original, mais je voulais remettre les pendules à l’heure - d’une certaine manière, Dylan est une divinité pour tous ceux qui écrivent des chansons ».
Sa voix - Chan Marshall fait de la musique depuis près de 25 ans - aussi sincère qu’à ses débuts, voire encore plus brisante de sincérité, désarmante. Et sa délicatesse, et son intelligence… Tout nous laisse à penser - une fois de plus - que malgré ses fragilités, et peut-être bien grâce à celles-ci, cette artiste et sa sensibilité hors-normes lui font non seulement interpréter des chansons, les écrire, les composer, mais aussi d’une certaine manière bien à elle, permettent qu’elle ré-invente le cours de la chanson blues, de l’histoire du rock donc.
À chaque nouvel album, à travers sa personne, c’est à l’origine de la musique américaine que l’on fait honneur. Little Richard, Big Bill Bronzy et Ma Rainey étaient les trois piliers de l’éducation musicale de Bob Dylan. Cat Power leur rend ici hommage à eux et à d’autres fantômes à travers sa relecture du concert.
Barack Obama s’en est souvenu quand il a remis la « Medal of Freedom » en 2012 à Dylan : il fut une époque (au hasard, les années 1960) à laquelle seuls les Blancs avaient prise sur le discours public. Si cela leur chantait, les artistes pouvaient - à l’instar de Bob Dylan - évoquer les discriminations raciales, voire leur rentrer dedans à elles et au climat politique ambiant.
Si cela ne semble plus vraiment d’actualité en Europe - le droit de parole - on est en droit de se demander si Cat Power ne rejoue pas quelque chose qui pourrait sembler anachronique à beaucoup. Mais peut-être la relation qu’elle a nouée avec les chansons de Bob Dylan est-elle trop intime pour qu’elle ait hésité à rejouer ce concert.
Considérons-le plutôt pour ce qu’il est : un hommage anticipé à la disparition d’un grand poète américain et la réalisation d’un rêve de petite fille. Elle se fait un beau cadeau, et elle a l’immense talent de rendre le cadeau plus profitable encore à son public. Le guitariste Arsun Sorrenti, le bassiste Erik Paparozzi, les multi-instrumentistes Aaron Embry (harmonica, piano) et Jordan Summers (orgue, Wurlitzer), ainsi que le batteur Josh Adams l’accompagnent sur scène pour cette performance musicale.