Séance de rattrapage avec ce Tangk paru en février dernier, vibrant cinquième album des non moins vibrants Idles, menés par un Joe Talbot des grands soirs – il vous suffira d’écouter le fabuleux Roy, gorgé de soul incendiaire, pour mesurer le chemin parcouru par le combo art rock de Bristol, qui prend depuis ses débuts discographiques (Brutalism, 2017) un malin plaisir à brouiller cartes et frontières, invitant même James Murphy et Nancy Whang à batifoler sur le caverneux Dancer, éructation frontale mariant The Fall à Public Image Limited. Produits par Nigel Godrich, Kenny Beats et le guitariste Mark Bowen, les onze morceaux de Tangk claquent au vent mauvais : dès l’ouverture, le crépusculaire IDEA 01, nuage de sonorités tempétueuses en tension retenue offrant au chant lascif et tourmenté de Joe Talbot un écrin de toute beauté, distille dans nos veines une noirceur étonnante, car empreinte de mélodie – à se demander si Idles n’est pas meilleur lorsqu’il délaisse textes scandés (avec l’accent lad) et rage primale pour s’aventurer sur des terres plus harmonieuses et donc plus nuancées. Alors certes, avec sa section rythmique tapageuse et ses geysers de décibels à la limite de la dissonance, Gift Horse déchire tout sur son passage, mais l’on trouvera plus d’intérêt à l’hypnotique Pop Pop Pop, génial crossover électro hip-hop bourdonnant rappelant les Young Fathers, ou à Roy, âpre valse garage sur laquelle la voix de Joe, comme sortie de la bouche d’une divinité vaudou surgie des profondeurs du Mississippi (ou de l’Avon), nous scotche au plafond. S’ensuit le délicat A Gospel, ritournelle minimaliste portée par un piano nimbé de réverbération et des arrangements de cordes, dont la mélodie manque malheureusement de profondeur, et puis retour au bruit, avec l’assez dispensable Dancer, évoqué plus haut : l’enchaînement me paraît hasardeux, tant le contraste entre les deux morceaux est fort, d’autant plus que derrière survient l’atmosphérique Grace, au tempo certes enlevé mais dont jamais la tension n’éclate. En ce sens, et la fin de l’album le confirme, Tangk paraît décousu : Idles invoque The Stooges (Hall & Oates), se lance dans le rock lyrique (Jungle et ses refrains à la Muse, étrange), invente le blues-techno mutant (Gratitude) et termine sur l’épure atmosphérique de Monolith. J’ai bien conscience que le groupe de Bristol a bâti sa réputation sur son énergie, mais à mon sens les compositions les plus insolites de Tangk me paraissent également en être les plus brillantes. Sachant que le disque est sorti il y a huit mois et que les attachés de presse sont depuis longtemps passés à autre chose, personne ne s’offusquera de voir soulignés dans cette chronique tardive les trois chansons à écouter en priorité. Oui, ça ne fait que trois morceaux, mais c’est déjà beaucoup plus que la plupart des disques que j’écoute, alors ne boudons pas notre (court) plaisir.