> Critiques > Labellisés



Taylor Swift The Life of a Showgirl : anatomie d’un produit à l’étouffée sous-vide

Écouter The Life of a Showgirl, c’est un peu comme regarder une flamme dans un cylindre en verre : ça brille, ça chauffe un peu, mais sans laisser d’odeur et sans jamais brûler…

Taylor Swift signe peut-être ici son album le plus maîtrisé, donc probablement le plus inoffensif aussi, ce qui déjà relève presque de l’exploit musical au vu de la discographie melliflue passée. Dans une Amérique déboussolée en recherche de quelques repères aisés, on y retrouve tout ce qui fait la marque de fabrique et le succès de notre pin-up trentenaire : la mise en scène du moi (à défaut d’émoi), la confession calibrée agrémentée du drame shakespearien pour faire chic, le tout en mode mineur, joliment policé au point de disparaître sans surprise dans la plus abyssale mièvrerie synth pop pour supermarché discount.

« The Fate of Ophelia » ouvre le bal avec sa tragédie et musicalité à la Lady Gaga de l’époque The Fame Monster (2009) mais évoquant une quinzaine d’années après, une bad romance plus clinique, une noyade sans eau, une douleur sans aspérités. Sur « Elizabeth Taylor », Swift marie le glamour aux amours hollywoodiennes d’antan, comme on sort une vieille photo écornée griffée d’un autographe pour se prouver qu’on a un peu de vécu et un restant de mémoire autre que virtuel (pas trop dur non plus quand le nom d’Elizabeth rime avec son propre nom, narcissisme quand tu nous tiens). « Wood » s’essaie à la métaphore charnelle délurée tout en restant pourtant coincé dans son vernis lustré par Monsieur Propre. « Actually Romantic », quant à lui, se la joue picante avec ses petits airs de « Where Is My Mind ? » des Pixies, et prouve qu’on peut se chamailler avec ironie et humour au pays des cowboys sans que ça tourne systématiquement au pugilat sanglant (paroles faisant allusion aux inimitiés et jalousies émanant de l’artiste britannique Charli XCX). Un bon point ici pour la star américaine et ses punchlines qui passent prestement du tact au tacle : victoire par KO avec des gants de velours.

Taylor Swift ne chante pas à proprement parler la vie, et l’eût-elle au moins tenté de par le passé, elle n’en livre aujourd’hui que le simulacre. Mais comme à l’accoutumée, elle n’a pas besoin de surprendre, juste de beaucoup (et bien trop) de reconnaissance. La peur de disparaître un peu trop vite du cœur de ses fans, peut-être ? Chaque refrain est une zone de confort, chaque mélodie une publicité pour sa propre mythologie mise sous plastique. The Life of a Showgirl tient moins de l’album que d’un écosystème émotionnel aseptisé, conçu pour tourner en boucle et sans heurts sur Spotify et TikTok.

Et pourtant, chose fascinante, ce vide-là, Taylor Swift le maîtrise mieux que personne, étant devenue à elle seule la prêtresse pop du monde lisse avec ses guitares à paillettes et son micro Barbie sans fil : elle rassure, elle titille léger, mais sans jamais déranger pour de vrai, à la manière de slogans vides remaniés dans une veine hipster telle que « Cancelled ». L’Amérique (et une partie de la jeunesse occidentale sous l’emprise de l’algorithme acéphale) s’y mire, persuadée d’écouter de la sincérité un vendredi soir après une longue semaine à trimer. Pourtant, le résultat est quasi sans appel : un album impeccablement stérile, terriblement contemporain, bande-son des générations Z et Alpha sponsorisée par maman en crise de milieu de vie, préférant le reflet à la flamme, et préparant déjà sans même s’en soucier, tant que coule un peu de jus sucré des applis, le naufrage de la suivante : la génération bêta.




 autres albums


 interviews


aucune interview pour cet artiste.

 spéciales


aucune spéciale pour cet artiste.