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  • 11 janvier 2009 /
    Tortoise
    “TNT ”

    rédigé par Kowalski
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Comment parler de ce "disque", de cette chose qui fait de la musique, à la pochette si négligée, sans se perdre dans nombre de considérations aussi stériles que ridicules sur le Rock ou plutôt sur ladite Mort du Rock ? Peut-être faudrait-il commencer par préciser que Tortoise, en compagnie de Slint, fut le groupe fondateur du post-rock. Derrière l’aspect pompeux et solennel de ce terme se cachent des musiciens géniaux, aphones et incertains, dont la principale ambition est la non-ambition, et dont les revendications artistiques ne sont malheureusement que susurrées. Le post-rock n’anéantit pas le rock, en aucun cas. Il faut juste se dire, que du rock à proprement parler, les chicagoans de Tortoise s’en fichent comme de leur première chemise à carreaux. Le post-rock spatialise et matérialise ce qui autrefois n’était que temps et mesures. La grande "révolution" du post-rock est donc d’avoir créé des espaces, des paysages, dans le rock. On ne "rentre" pas facilement dans TNT. On ne fredonne pas Swing From The Gutters ou Jetty sous sa douche. Tortoise nous égare, ne se montre pas, ne laisse aucune trace de sa présence. On a souvent l’impression en écoutant TNT d’être face à une musique inhumaine. Passé son aspect insouciant et touche-à-tout, la musique de Tortoise peut même faire peur : qui sont ces types ? D’où sortent-ils ? Sont-ils restés enfermés depuis 20 ans dans un chalet du Caucase avec pour seul réveil matin le chant des orques (oui je sais, y’a pas d’orques dans le Caucase mais c’est pour le style) ? Dès lors, on tient là LA caractéristique de Tortoise : l’effacement. Plus qu’à des musiciens (dont le fantasmabuleux John McEntire), on a affaire à de la musique, pure. Rien, à aucun moment, ne vient interrompre les formidables pouvoirs évocateurs de ces morceaux ouatés, délicats, et férocement oniriques. De grands paysages rêvés et incaccessibles nous sont présentés. Le morceau titre prend dès le début acte de cet arrachement à la lourdeur tellurique, et se tourne vers ce lieu fantasmé et oublié, celui où l’on se revoit, mais en rêve. La mélodie ne se fait plus qu’aérienne, les rebondissements rythmiques ont été conçus par des yeux loin d’ici. Si Tortoise sait se faire si intime, c’est grâce à ces petites comptines glaciales et doucement naïves telles que Ten-Day Interval, ou à des souvenances dorées extirpées et dédales sans fond de notre inconscient moralisateur (The Suspension Bridge At Ignazu Falls). Si Tortoise est si vivant, si mouvant, c’est parce que Tortoise a sur reconnaître en lui-même, et affirmer toute la liberté dont est rempli jusqu’à la moëlle l’être humain. La musique de Tortoise n’est que jeu et provocation des possibles, réunion discrète et limpide des spectres d’Ennio Morricone, de John Coltrane, de Can, et de musique traditionnelles diverses (dont japonaise). Et si Tortoise n’est à ce point que lumière et jubilation de la musique pour elle-même, c’est parce que l’échec humain est admis dès le début (A Simple Way To Go Faster Than Light That Does Not Work). Les mots de Céline retentissent ici : "l’important, c’est la musique, le reste blabla". On glisse peu à peu vers une certaine idée de l’abstraction, les repères s’affaissent les uns après les autres, au fil des morceaux. La matière se disloque, et notre corps semble faire de même, au rythme de la musique. Arrivée à son paroxysme abstracteur, après 4’20 ’’ de "Everglade", la musique semble s’auto détruire. Le disque est fini. On remercie Tortoise, en essayer en essayant de se souvenir de la dernière fois où l’on s’était senti aussi léger.




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