La pop. Qu’est-ce que la pop ? La pop music est définissable par son accès facile, corollaire de sa dés intellectualisation ? Autrement dit, la pop est-elle une musique facile, stupide, et inutile ? Oui et non. Oui parce que New Order est la pop. Non parce que New Order est la pop. Avant tout chose, deux ou trois précisions sur la pop sont utiles. La pop est avant tout un parti pris esthétique, celui de la limpidité. Contemporaine et symptôme de l’avènement de la culture de masse, on ne saurait lui reprocher sa roublardise, son hypocrisie. Oui, la pop vend, beaucoup. Mais avec classe. La pop suit en effet deux idées directrices. Et fondatrices. La première est d’être concise. Le défi de la pop est de placer le maximum de bonnes idées dans un cadre imposé de 3’30’’. La seconde règle de la pop est d’être dansante, inviter le corps à bouger, elle doit se faire instinctive, et si possible, élégamment primaire. La pop est en outre la musique de la post-modernité, celle qui sait qu’elle n’est plus là pour les messages, qui sait qu’on ne fait désormais plus que de la réécriture, qui sait qu’il faut emprunter pour construire. C’est la beauté du plastique. Et New Order dans tout ça ? Eh bien, New Order est tout ça : glorieux, inutile, stupide, lucide, dansant et tubesque. On ne reviendra pas sur la passé Joi Division de New Order, puisqu’en 1988, les choses ont changé, la page est presque tournée. Si New Order garde de Joy Division sa batterie martiale, sa basse claire et mélodique, ses guitares hachées et discrètes (qui prennent dans " Brotherhood " plus de place que sur d’autres albums, lui donnant une tonalités plus rock qu’electro-pop), c’est cependant autre chose. Curtis avait des choses à dire. Pas Sumner. Mais Sumner s’est pris de passion pour la disco italienne du début des 80’s, passion qui conférera à New Order ce côté glucosé et acidulé dans sa pop. Parallélement à cela, New Order appuie un aspect déplié depuis Joy Division, celui du design, qui passe par son éternelle collaboration avec Peter Saville, qui signera toutes les pochettes du groupes. L’esthétique Saville est nécessaire pour comprendre la musique de New Order, et a fortiori, celle de " Brotherhood " : sobre et claire, minimaliste et séminale, marquée par l’obsession maladive de la perfection dans la ligne droite. " Brotherhood " tout entier est placé sous ce sceau dérangeant de la perfection, de l’efficace, à commencer par l’énorme et symétrique Paradise. De la ligne de basse aux paroles, tout respire le contrôle maladif, la justesse nécessaire, l’exigence d’évidence. Les paroles ne disent plus rien, elles se montrent en train de ne rien dire. Les titres eux-mêmes claquent dans l’écho blanc et industriel du minimalisme qui se donne à voir : Paradise, Weirdo, Way of Life, State of the Nation ; ce sont des définitions, des éléments de notices. Ils s’exposent tels des boîtes de conserves warholiennes sur un étalage. Plutôt que regarder et cracher stérilement sur la Société de consommation, New Order s’en est fait le produit-même, et nous confie le rôle de témoins, trop malins qu’ils sont pour faire des commentaires. Parfois, au détour de State of the Nation de sa mélancolie, ou des pouffements de rire à peine retenus de Every Little Counts, la voix de Sumner laisse entrevoir un décalage, mais jamais plus. " Brotherhood " n’est que ritournelles éternelles, taillées pour la douche du matin (Paradise, Weirdo), le dancefloor du soir (Bizarre Love Triangle, State of the Nation), ou l’écoute ébahie par tant de netteté. La musique de New Order, et plus précisemment " Brotherhood " répond donc difficilement à la question de départ : qu’est-ce que la pop ? et est-ce une musique " populaire " ? L’évidence des mélodies, l’irrésistible côté dansant, les petits gimmicks ultr-reconnaissables, tout cela est susceptible d’accompagner tout un chacun un temps, puis de faire oublier, tel n’importe quel produit de consommation. Mais " Brotherhood ", à l’image de sa pochette impersonnelle et inquiétante, est un tel casse-tête géométrique, festival de lignes droites brisées, qui s’entrecroisent avec une régularité métronomique, suivant des formules secrètes, répétées, quasi-magiques, qu’il en vient à se clore sur lui-même, cercle parfait lisse et impénétrable. L’auditeur est rejeté au-dehors, dans l’ombre d’une énigme irrésolue, avec l’illusion qu’il peut y rentrer de nouveau, pour quarante-trois minutes au moins. Puis l’auditeur sera mis de côté, une nouvelle fois. La perfection continuera sans lui.