De ses débuts au micro avec les Log Cabin (Eligh, Murs, Scarub) à la claque que fut sa collaboration avec l’inégal Busdriver et le flamboyant Deadelus sur l’inépuisable The Weather (Mush, 2003), le plus attachant emcee de la horde Shapeschifters ne s’est jamais laissé apprivoiser par madame de la facilité et encore moins laissé tenter par monsieur platitude, rendant ainsi compte à chacune de ses sorties discographiques de son infatigable engagement pour atteindre les sommets rapologiques. C’est donc fort d’une image encore préservée des railleries verbeuses de la critique musicale que Kamal de Iruretagoyena Humphrey alias Radioinactive nous revient avec Soundtrack to a Book, troisième projet solo après Fo’Tractor et Pyramidi (Mush, 2001) et première pierre du prometteur édifice Stranger Touch Records. Disons-le sans ambages, ce dernier né perd par rapport à ses précédentes escapades solitaires en étrangeté et en fragilité lo-fi ce qu’il gagne en intensité et cohérence stylistique et, à l’instar de l’inoubliable Free Kamal (Mush, 2004) où Radio partageait encore l’affiche avec son trop rare comparse Antimc, Soundtrack to a Book vise l’exigence sans pour autant tomber dans les travers de l’élitisme et se veut accessible tout en refusant d’adhérer au conformisme ambiant. Malgré l’apparition sur Radiator d’Eliot Lipp, qui offre au californien le meilleur instru (Sexe Tape) de son récent Tacoma Mockingbird (Hefty, 2006), c’est seul qu’il s’est attaché cette fois-ci à en construire l’architecture sonore, donnant ainsi et en moins de trente petites minutes d’une intensité rare, valeur de vérité à l’adage populaire qui veut que nous sommes jamais mieux servi que par nôtre propre pomme. Il faut dire que l’homme, qui aime afficher sa tête de marmot sur ses pochettes, est aussi à l’aise aux commandes de ses machines à fabriquer du tube que derrière un micro, des productions à l’image de la flamboyance de son flow hors normes, d’une amplitude rare, rythmiquement insaisissables et mélodiquement instruites. En effet, de la même manière que son phrasé se joue des lois du genre, et ce sans aucun effet démonstratif pédant, pouvant et de manière inattendue courir aussi vite qu’un lévrier afghan la bave aux lèvres derrière son leurre et l’instant d’après se reposer dans un chant propre et sensible, ses compositions, à la fois délicieusement désuètes et constamment étonnantes, ne s’épuisent jamais dans le répétitif, se renouvelant tantôt par l’entremise de bidouillages électroniques euphorisants (Refrigerator, Personalithy Theft), de nappes mélodiques vaporeuses (Sometimes), parfois par l’apport de boucles de guitares triturées (Refrigerator (reprise)), de synthés extatiques (Tarantulas) ou de basses capiteuses (Trouble) et souvent par les scratchs d’un autre temps de l’énorme La Jae. Si Soundtract to a Book est la meilleur chose qui soit arrivé au hip-hop cette année, c’est donc non seulement grâce à la verve inventive de kamal, à ce rap multi facettes qui sur chaque piste se réinvente, mais aussi et surtout en raison de cet insolent bazar qui lui sert de décor. Un album taillé dans le roc du bon goût, un album succinct mais qui à chaque écoute se dévoile un plus, un album qui mettra donc à mal votre touche repeat, bref un album salvateur en ces temps moroses où le hip-hop se cherche un second souffle.