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Interview réalisée par mail avec Encre au mois de Mars 2004

Que penses tu de notre chronique que certains jugent psychédélique ?

— J’en retiendrai avant tout " déjà toute suite possible, demandant même le sabordage avant que la comparaison ne s’affine pour mieux se tromper ". Je le mets dans ma " boite à épitaphes ", direct.

Ressens-tu une filiation dans la démarche " blanche " avec diabologum mais également avec la montée progressive et les silences de talk talk ?

— La démarche " blanche ", c’est quoi ça ? La filiation avec Diabologum, je ne vois pas vraiment en fait, je ne suis pas ultra fan, je connais, j’aime bien 365 jours ouvrables, mais sinon, j’ai jamais beaucoup écouté. Ah si, c’est sur un album de Diabologum ce truc avec Dominique A, " le discours de la méthode ", non ? Ca, c’est assez drôle. Pour Talk Talk, oui j’aime beaucoup Spirit of Eden et le Marc Hollis, mais à vrai dire je ne trouve pas qu’il y ait beaucoup de silences sur " Flux ", c’est plutôt très plein et continu, non ? Peut-être sur le morceau " Sèves " : la partie de piano. En fait, ce truc est une improvisation réalisée par Karine (Noak Katoï) sur ce qui constitue maintenant la deuxième partie du morceau. J’ai isolé cette partie, découpé deux ou trois passages qui collaient moins et en ai fait l’introduction. Je la trouvais très intense. Pour ce qui est de la montée progressive, disons que l’album fonctionne essentiellement sur des procédés d’accumulation et d’insertion.

Ta musique est très cinématographique, le chant est même emprunt d’une recherche de dialogue joué. On sent même un lien avec le cinéma d’Eustache. Tu es d’accord avec cela ?

— Il faudrait que je revoie La Maman et la Putain, j’ai beaucoup aimé le film mais ça fait un bail que je l’ai vu. Je me souviens qu’il touche parfois au dilemme entre une approche du sexe un peu consumériste et quelque-chose qui tend à s’y opposer. Flux aussi, d’une certaine manière, c’est vrai. Il y a peut-être également, dans ce film, quelque-chose d’analogue à ce qui sous-tend le clash entre les deux protagonistes sur Marbres. Je sais pas, j’essaie d’aller dans ton sens… j’ai peut-être tord. Pour ce qui est du côté cinématographique, j’aimerais plus que tout plancher sur des B.O., l’occasion ne s’est encore jamais présentée .

Comment arrive un texte comme aussi cru et fort que galant(es ?). Excuses moi d’insister mais on pense à la maman et la putain ?

— Un mélange de choses vécues mises bout à bout, je pense, et une touche de démesure pour la théâtralité. Si tu penses à " La Maman est la Putain " (le morceau, j’imagine) c’est peut-être tout simplement parce que ce sont deux morceaux sur lesquels il y a des textes un peu " culs ", un peu rêches… .

Ta façon de chanter sur galant(es ?) est d’ailleurs surprenante. Tu évites de mettre le texte trop en avant ? Pourquoi une telle contradiction entre tes paroles et la musique ?

— Je n’ai pas l’impression d’avoir mis le texte en retrait. A vrai dire, je n’ai jamais l’impression que ma diction soit inintelligible. J’ai plutôt l’impression d’avoir mis cette voix particulièrement en avant. Il est vrai que je pourrais peut-être articuler davantage, de manière générale, mais, tu sais, ce qui constitue l’essentiel de la texture d’une voix et ce qui la justifie, chez moi, tient souvent à des mouvements de mâchoire de moins d’un demi-millimètre… Je fais de la musique, pas de la phonétique .

Sur le ep marbres c’est la diversité qui est à l’honneur ?

— J’avais ce morceau de guitare dans un coin, on voulait sortir ces deux versions live depuis longtemps et quelque-chose qui donne un avant-goût de l’album. J’ai voulu faire un truc un peu fourre-tout, mais qui se tienne malgré tout.

Tu es dans un format en voyant large " pop ". Avec plexus c’est un pas fait vers une écriture plus libre, pouvant rejoindre le symphonique. Tu souhaites construire une œuvre plus classique en y incorporant de l’électronique ?

— En voyant large, alors… Je travaille, en ce moment, sur plusieurs types de morceaux qui feront, je pense, l’objet de plusieurs Eps. Je planche, par exemple, sur un morceau d’une demi-heure en deux mouvements qui fonctionne un peu sur le même mode que Plexus ; quelque chose qui prend le temps de s’installer, de répétitif. Mais chacune des répétitions est justifiée, ainsi que chacun des changements, des ajouts. Je ne devrais pas dire ça mais je pense que, des morceaux que j’ai fait, ce long truc est celui qui me parle le plus… Sinon, Plexus est un accident, pour l’anecdote. C’est un morceau qui existe en fait deux fois dans l’album. Je l’ai découvert en triant les différentes parties de cordes de Galante(es ?) pour les fournir à mon ingé son. Je me demandais comment j’allais procéder pour qu’elles soient cohérentes et lisibles pour lui, je les ai donc isolées et, à un ou deux détails près, le deuxième mouvement de cordes du morceau…c’était Plexus .

Encre c’est pour suggérer l’écriture ?

— Loin de moi ce genre d’associations illustratives. C’est ce que j’ai écrit en premier en haut, à droite lorsque j’ai réalisé la pochette de mon premier 45 tours, c’est resté. Encre, c’était instrumental, à l’époque...

Tu peux nous parler de travail réalisé sur tes pochettes que je trouve fascinant ?

— Il y un mot d’ordre, une méthode, qui sous-tend non-seulement l’imagerie, mais également mon travail musical. Je la révèle parfois (et seulement) aux gens avec qui je bosse…je ne veux pas faire d’obscurantisme, mais il est important que je le garde pour moi .

Pour en revenir au cinéma, la mise en image de flux s’impose. C’est dans l’air du temps ?

— Disons que l’on verra Marbres en image.

On est au lendemain des victoires de la musique. L’an prochain tu y vas (rires) ? C’est malgré tout une tribune non ?

— Bah, tu sais, de manière générale, je n’ai rien à gagner et n’ai pas du tout l’esprit de compétition. Ca me pose pas mal de problèmes, d’ailleurs...

On ressent un peu plus de maîtrise mélodique sur Flux…Qu’est ce qui a changé entre ces deux disques ?

— La démarche de composition de " Flux " est axée sur l’élaboration d’enchevêtrements de mélodies . Au moment ou je me suis lancé dedans, j’étais agacé par l’obsession (limite dogmatique) pour l’abstraction chez les gens qui m’entouraient .

Comment adaptes tu tes chansons en live ?

— Nous essayons, avec les cinq personnes qui composent Encre en live, d’extirper l’essentiel des morceaux sans règles précises et de se les approprier en tant que groupe. Encre sur scène n’est pas mon backing band, il s’agit d’un groupe à part entière et les versions scéniques leur appartiennent autant qu’à moi. C’est, je pense, la condition sine qua non pour y déployer une véritable énergie cohésive.

La musique que tu joues, les paroles, reflètent elles obligatoirement ta personnalité, ou est ce plutôt un autre Yann, un personnage ?

— Un peu des deux, une sorte d’auto fiction intimiste.

Tu vas jouer prochainement avec Murat…Différence de genre ?

— A l’heure où je réponds j’ai déjà joué avec lui. Ne pas se méprendre, je n’aime pas 75 voire 80 pourcent de ce que fait Murat, je pense que c’est de la variété molasse, voire du rock de papy creux à souhait qu’on pense sauver avec une prod à la Calexico passe-partout, pour donner un cachet un peu " indé ", crédibilité oblige. Je n’aime Murat que lorsqu’il fait des choses seul à la guitare ou en tout cas très épurées. J’irais même jusqu’à dire que, pour moi, si je n’en juge que par ce genre de morceaux, Murat est à mettre au rang d’un Ferré ou d’un Brel. Ou encore qu’il égale, là-dessus, certains trucs de Smog (je pense à Kicking a Couple Around). Le plus dramatique c’est que les titres qui, selon moi, ont vraiment de l’intérêt chez lui, ne concernent qu’un public très restreint puisqu’ils sont surtout disponibles en téléchargement sur son site, alors que ses disques sont truffés de trucs horribles. Et encore, je ne me casse pas à aller les piocher, personnellement, c’est un ami à moi qui est assez fan qui me les réunit régulièrement. C’est moins le cas depuis Lilith, que je trouve affreux sauf pour l’enchaînement " De la coupe aux lèvres ", " Le revolver nommé désir ", " Se mettre aux anges ", " Qui est cette fille ? ". Ces quatre morceaux sont à tomber le cul par terre, vraiment magnifiques. Pareil pour " Parfum d’Accacia au Jardin " : je n’aime pas grand-chose (pourtant, c’est épuré, tu me diras) sauf " Plus vu de Femmes " et " On se Retrouve en Regardant " qui sont aussi, selon moi, des chef d’œuvres. Différence de genre : oui. Je fais quelque-chose de plus large que de la chanson Française.

Finalement si on devait rapprocher un peu ton style de parole, on évoquerait facilement Aidan Moffat…Finalement Encre est né grâce à quels artistes ?

— Je suis pas très fan d’Arab Strap. Encre est sans doute influencé par tout ce qui constitue ma discothèque. Je vais tenter de résumer. Pas mal de groupes Domino/Drag city, de l’Indé américain et anglais en général. Pas mal de groupes Southern/Quaterstick, le post-rock Chicagoan, , la scène constellation par extension, Nico, le Velvet, Nick Drake, Cohen, Brel, Ferré, Dominique A, même si je trouve ça parfois un peu trop précieux, l’électro warpienne (enfin, au final, relativement peu de choses chez Warp), Broadcast (soit la non-électro warpienne), quelques trucs de musique concrète, quelques disques Impulse, de plus en plus de musique africaine (surtout malienne)…Gorecki, Bryars, Savall, euh, je sais plus trop là… En fait j’ai horreur de me prêter au jeu des références. Sinon, pour en revenir à la voix, cette mouture un peu parlée/susurrée n’est pas figée. J’ai déjà réalisé quelques-uns des morceaux du troisième album et pour l’instant je n’ai fait que chanter mes textes. C’est assez surprenant, même pour moi, j’avoue…mais je suis content du résultat .

erratum au sujet de Murat, je n’avais qu’une copie cdr audio du DVD "Parfum d’Accacia au Jardin" (pas de sous pour m’acheter des disques..), j’ai depuis récupéré la version complète et il y a un cdr sur lequel il n’y a quasiment rien à jeter sauf la 5 et la 6...

Dernière question, sorte de rituel, ton top ten de tous les temps ?

C’est un top 21, et il n’y a pas d’ordre particulier, mais sache que si tu m’interroges demain, je te dirai sans doute autre-chose .Smog, The Doctor Came At Dawn .Toumani Diabate & Balake Sissoko, New Ancient Strings .Gavin Bryars, Jesus Blood Never Failed Me yet .Swell, 41 .Gorecki, 3ème symphonie .Nico, Desert Shore/The Marble Index .Marin Marais, Pièce à deux violes du premier livre 1686 (Savall, Coin, Koopman, Smith) .Dirty Three, Ocean Songs .Jim O’Rourke "And a 1,2,3,4" .David Grubbs, 3 solos .Ferré "le Vieux Marin", "Et basta", "Il n’y a plus rien", " La méthode " / " la joyeuse visiteuse ", " Marie " d’Appolinaire .Brel " La ville s’endormait ", " Ne me quitte pas (version live la + courante ) " .The Silver Jews, " The Natural Bridge " .Sr Chinarro "La primera ópera envasada al vacío " .My Bloody Valentine : tout .Dereck Bailey "Ballads" .Movietone "The Blossom Filled Streets" .Matt Elliott "The Mess we Made" .Colin Blunstone , la moitié de "One Year" .Leonard Cohen " Songs of Love and Hate " .Many Fingers demo...



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