Stephane Gregoire s’occupe du label "ici d’ailleurs", qu’il a créé en 1997. Il a débuté très rapidement dans la distribution indépendante, d’abord comme disquaire chez "wave" au début des 90’s. En novembre 2004, John Balance disparaît tragiquement, Stephane marqué par cet événement, réalise alors que son groupe préféré n’aura plus jamais d’actualité, il décide de produire un album hommage à Coil et cette musique qui le fascine tant. This Immortal Coil sera disponible le 12 octobre. Voici son interview en prélude à la chronique de cet album poignant. Propos recueillis après la séance d’écoute intime et amicale en présence de tous les artistes du projet. Pourquoi Coil a autant marqué ta culture musicale ?
C’est un groupe qui fait plus que de composer de la musique, Coil incarne pour moi ce qu’est la musique telle que je la définie. Coil a toujours repoussé les limites du champ expérimental, mélangeant nouvelles technologies et vieux instruments, créant des textures sonores éblouissantes ou inquiétantes en triturant le thérémine ou de vieux syntés moog... Coil c’était aussi un couple John balance et Peter Christopherson (Psychic TV, Throbbing Gristle) qui revendiquait beaucoup leur homosexualité, à cette époque l’Angleterre n’était pas à l’aise avec ça. Coil était donc en décalage avec son époque, leur démarche était de séduire un public masculin en explorant la musique et la drogue dont ils ont repoussé les frontières. Je trouve que cette musique aujourd’hui est universelle.
Quelle démarche as tu adopté pour la conception de cet album hommage, quel partis pris as tu retenu ?
La démarche de coil m’a toujours fasciné, créant des musiques évidentes ou au contraires très difficiles d’accès, le but que je me suis fixé était de retranscrire Coil dans un album acoustique. Finalement, c’est réussi car, il n’y a pas beaucoup de sons synthétiques, cet album cousu main est fait par des musiciens ayant tous suivis un cursus classique en musique. C’est un contrepoint qui met en évidence la valeur et et la profondeur de Coil, c’est une musique d’une grande beauté, mais qui n’est pas évidente quand on l’écoute. J’espère toucher le plus grand nombre avec ce disque, satisfaire les fans de Coil et séduire un public plus large sont mes espérances maintenant.
Chapelier Fou, une de tes dernières signatures a rejoint ce projet, comment ça s’est passé ?
Il est arrivé à la fin du projet en effet, j’ai fait confiance à son génie pour arrangé "the dark age of love". Je n’étais pas satisfait de l’exécution trop rapide des DAAU, c’était l’occasion de le faire bosser. Il a retenu la contrebasse et l’accordéon de l’orchestration des DAAU et puis il a tout retravaillé, on a envoyé le tout ensuite à Yaël qui a posé sa voix. Au départ ce titre devait être chanté par Elizabeth Frazer des Cocteau Twins, c’est d’ailleurs la première personne qui a accepté de collaborer, elle m’a insufflé une volonté de fer dans mon entreprise, mais malheureusement, elle a préféré se détourner du projet accaparée par la réalisation de son album et ses problèmes personnels.
Comment as tu dirigé les artistes pour mener à bien T.I.C ?
A part Matt Eliott et Yann Tiersen, les autres ne connaissaient pas Coil. Je peux dire que chacun des artistes a mis son âme dans ce travail. Face aux 10 morceaux imposants que j’ai sélectionné, ils ont réussi à se hisser au niveau de Coil, en respectant l’essence des morceaux. A travers cette sélection, ils ont pu aussi se rendre compte d’une partie de la dimension de Coil et de sa beauté.
L’enregistrement de l’album s’est étalé sur 4 ans, tu as donc pris ton temps, peux tu nous raconter son avènement, les faits marquants ?
j’ai enregistré le premier morceau "tattoed man" avec Yaël en 2006, elle est seule au piano, le morceau est brut avec les grincements du tabouret qu’on a gardé dans le mixage. On s’est rencontré alors qu’elle cherchait un label, même si nous n’avions pas les épaules assez solides pour propulser un talent telle que Yaël, aujourd’hui je pense qu’elle a compris qu’elle pouvait faire des choses plus expérimentales avec nous. Je connaissais les DAUU depuis très longtemps, DAAU était présent sur la première compilation que j’ai produite et qui a donné son nom au label., ils ont participé à 4 morceaux, avec Christine Ott aux ondes Martenot, ils rythment l’album. Les ondes Martenot étaient nécessaires dans ce projet, cet instrument produit des sons particuliers, dont le plus connu évoque des voix "venues d’ailleurs", Christine travaille avec Yann Tiersen, et Dominique A, elle est arrivée chez d’ici d’ailleurs pour trouver les partitions de Yann, finalement elle participe maintenant à ses albums. John Balance était tout comme moi fan de Bonnie Prince Billy, j’ai réalisé un rêve en l’invitant sur ce projet, il m’a envoyé un mail récemment pour me dire à quel point il était fier de cet album, je suis vraiment très heureux de l’engouement que les artistes ont eu pour ce projet, ils ont supporté mon exigence et mon excitation. Je n’ai aucun regret de ne pas avoir pu atteindre Nick Cave que j’imaginais sur "love secret domain" inspiré par son interprétation vaudou de "Red Right Hand" et ses vieux claviers, finalement ce qu’ont fait Yann et Matt est encore plus éloigné et rentre dedans, plus hétérosexuelle justement. Les artistes avaient vraiment la possibilité de jouir de toutes les libertés en reprenant Coil, et le résultat est vraiment celui que j’attendais, ce projet devait se faire et tout a été fait offshore, il n’y a eu aucun contrats, d’ailleurs Coil n’est même pas inscrit à la sacem, les gens qui ont travaillés sur ce projet était animés des même envies, je le revendique ; car nous avons tous été passionné, animé par la musique, le reste n’a pas d’importance.
Tu as confié le mixage à Oktopus, pourquoi ce choix ?
J’ai pensé à lui pour le dernier morceau de l’album qui est plus proche de l’univers original de Coil, le rap de Dalek est très expérimental, fait de sons industriels et noise, Oktopus est l’homme derrière les machines. Au départ, je lui avais demandé d’ajouter des pistes plus bruitistes sur l’impro de DAAU et Christine Ott enregistré à Anvers, j’ai envoyé l’enregistrement dans le New- Jersey, quand j’ai entendu le résultat et la façon dont il a traité les ondes martenot, ça m’a apparu évident qu’il était l’homme idéal pour le mixage final du projet afin de donner une homogénéité aux différents morceaux. Je me suis donc rendu de l’autre côté de l’atlantique, il ne lui aura fallu que 4 jours pour arriver au résultat.
Coil c’est plus que de la musique, une discographie pléthorique pour un groupe indéfinissable, passionnant et intriguant.
Photo : Frank Loriou