C’est en première partie de The Sea and Cake que s’est produit Imagho, le 30 mai 2013 à l’Épicerie moderne de Feyzin.
Affiche pertinente à souhait : aux rythmiques à la fois érudites et dansantes des chicagoans, sur lesquelles se déhanchèrent frénétiquement deux ou trois membres désinhibés d’un public globalement quadragénaire et d’une staticité attentive un poil froide, correspondaient assez idéalement les boucles au parfum d’ampli à lampes de Jean-Louis Prades, Lyonnais aux multiples albums basés sur un travail patient de la guitare électrique ou acoustique.
Imagho est, en effet, du genre besogneux. Son approche de la musique évolue constamment, à une vitesse que l’on devine lente mais régulière, et appuyée sur une réflexion constante sur le "pourquoi faire ça" et des maîtres à penser incluant sans doute Mark Hollis et David Grubbs.
C’est ce qu’on ressentit dès son arrivée, sur un morceau comprenant des sons d’orgues et des voix parlées récitant du Richard Brautigan, en contraste total avec un précédent passage lyonnais où l’humble compositeur solo s’était produit à la guitare acoustique, pour ainsi dire à poil. Impression confirmée par chaque surprise dont Prades ponctua son set avec parcimonie et à propos. On associa la principale à une reprise de Dominique A qu’il avait postée en ligne récemment : Imagho CHANTE ! Il parle, plus précisément, avec un don certain de la narration (en français dans le texte) et une voix monocorde parfaitement placée sur ses mélodies de guitare en flottement permanent.
Happée par la performance, dans une forme de torpeur presque isolante, je tournai les yeux autour de moi pour observer le public clairsemé de l’Épicerie moderne, que les programmateurs avaient intelligemment adaptée en demi-salle où les groupes se produisaient au pied de la scène, à la lumière de quelques projecteurs de cinéma (superbe travail d’éclairage du régisseur / de la régisseuse lumière de la salle, qui avait clairement tout compris de la soirée).
La plupart des regards ressemblaient au mien, à deux ou trois près, levés vers le ciel dans une forme d’ennui que je trouvai assez incongrue, voire snob, étant donné la teneur exigeante de la tête d’affiche. Et là, dans un coin sombre de la salle, au pied du petit gradin où s’étaient assis quelques spectateurs aux allures de cinéastes new yorkais, là, silencieusement, discrètement, un couple faisait l’amour.
Que la musique d’Imagho, couplée à l’ambiance feutrée de l’Épicerie moderne et à un tas de facteurs de séduction qui m’échappèrent sans doute, pût inspirer à cette jeune femme le désir de satisfaire bucalement son partenaire d’un soir (ou de tous les soirs, allez savoir) m’inspira une réflexion plus globale sur son travail : simples de prime abord, les chansons d’Imagho sont en fait la bande originale de solitudes très nombreuses, chacune de ces petites îles s’appropriant singulièrement ses histoires.
Crédits Photos : Eric Segelle