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Certains premiers albums français sortent indéniablement du lot moins pour une quelconque sophistication que pour leur aspect bricolé, claudicant parfois, témoignant d’une nécessité, d’une urgence à composer avec les moyens du bord. Ce genre de disques devient généralement les compagnons de toute une vie : de « La Fossette » (Dominique A) à « C’était un lundi après-midi semblable aux autres » (Diabologum) en passant par « Les Mariages Chinois » (Katerine), des chansons lo-fi, rachitiques et maladroites, mais que d’émotion ! Que de sincérité et d’honnêteté !

L’album éponyme de Fleuv appartient à cette catégorie : trois fois rien, une rythmique Casio, des guitares tourbillonnantes, une voix mal assurée… et la certitude d’avoir rencontré un disque qui dorénavant plus jamais ne nous quittera, un disque certes bidouillé mais à ne surtout pas échanger contre un mastodonte zéro défaut.

Derrière ce nom énigmatique, un seul homme : Lionel Fraisse. Peut-être est-ce-là une fausse impression mais nous imaginons très bien cet artiste s’arracher les tripes afin d’écrire les plus intègres et sincères des chansons (dans un home-studio provincial, coupé du monde et de la dérive alentour). Sorte de cousin français du Lawrence de Felt, Lionel Fraisse chuchote plus que ne chante, caresse l’électronique plutôt que n’envoie les kilowatts, préfère la ligne claire à la noise attendue. Renfermé sur lui-même, coupé du monde, les yeux dans les yeux, ce disque transpire la timidité du musicien ayant besoin de trop en dire, de trop s’exprimer (« j’écris des chansons comme on purgerait les vipères » chantait Murat). Autant-dire qu’il n’y a ici aucune triche, rien d’aléatoire, rien qui ne soit exprimé autrement qu’avec le cœur. La voix de Lionel, évoquant parfois le phrasé littéraire de Pascal Bouaziz, s’autorise quelques incartades chantées (« La Forge », « Ouvre Les Yeux ») ; un chant tremblotant qui serait recalé direct à la Star Academy et c’est tant mieux : dans les hésitations vocales, la mise à nue est encore plus flagrante, encore plus émouvante que lors du spoken-word (on pense aux premiers singles de Taxi Girl, également).

L’album de Fleuv reflète parfaitement les peurs et les doutes qui assaillent généralement les individus de l’ombre : la nécessité de s’exprimer dans l’indifférence, tout donner pour si peu recevoir, se faire taper sur les doigts par abus de générosité. Et qu’importe l’opacité du propos : la façon de dire est parfois plus importante que le dire.

Voici un disque urgent exprimant l’urgence des mots et des sons, un disque tenté par la « désertion » mais qui, « le temps de hurler », « ouvre les yeux », tutoie « l’ange » et refuse de se soumettre. Exemplaire !




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