Aux mauvaises langues qui me diront il est temps quand même de rendre hommage à ce disque, je dirais que l’on ne gravit pas l’Everest avec facilité, sans s’accorder des paliers pour reprendre sa respiration, pour donner à son corps le loisir de s’adapter à ces attaques naturelles. Rendons à césar ce qui appartient à Jérôme Gillet, l’une des paires d’oreille les plus indispensables de la blogosphère, je lui dois mon escalade, ses mots dithyrambiques sur cette musique ne pouvaient pas être du simple fait d’une lubie passagère, non la très haute montagne se dispense de légèreté.
Légèreté il n’en sera jamais question dans Everest, le groupe essayant de conjurer le mauvais sort qui lui a vu perdre un compagnon de toujours. La disparition subite de ce compagnon de cordée sera l’ombre que cherchera à apprivoiser le groupe le temps de cet album aussi massif et beau que cette pochette (plus belle pochette de l’année), un disque pop rock qui conjugue à la fois puissance sonore, puissance mélodique, puissance émotionnelle et puissance de la dramaturgie, les titres semblent construits comme des tragédies grecques, les retournements toujours amenés avec une minutie presque chirurgicale.
Je dois vous avouer que j’ai longtemps bloqué dés le deuxième morceau, le très bien nommé « Misses ». Cette chanson qui s’avance semble portée par des vagues successives. Nous sommes alors une coquille de noix qui navigue entre des monstres d’eau parvenant sur la crête avant de se fracasser contre les poignards aiguisés de « I Miss You ». Si vous ne tremblez pas, si vous ne vous désunissez pas à l’écoute de ces 20 secondes, c’est que votre mécanique du cœur est défaillante. Après avoir recouvré mes esprits, c’est en Suisse que je vais les reperdre. Je sens chez vous un brin de scepticisme ou de raz le bol de peur que je vous fasse une nouvelle connexion avec le sport de Patrick Colleter, la Suisse étant dans le groupe de la mort avec l’équipe de France. Mais non, je vous parle de « Switerland » chanson épique, sorte de Radiohead sous pression, comme une résurgence de la tectonique des plaques, cassant les livres de géographies pour un nouveau découpage. Girls In Hawaï donne à ce nom de pays super connoté pour nous, un sens nouveau, celui d’un mot rock épique et gracieux. Et on passera d’autres merveilles qui nous seront proposées le temps de cette ascension, même ce « Not Dead » pop song comme seuls les groupes belges semblent capables d’écrire, comme une traduction en musique de ces grands carnavals loufoques et emprunts de mélancolie que la population nordiste nous donne. « Wars » qui clôt le disque sera une ombre reposée et stagnante, l’entrée au paradis via un titre ascensionnel, morceau aventureux et tenu, une façon de graviter autour de ce sommet sans déranger les oiseaux des hautes altitudes.
Alors je ne sais pas si je suis parvenu à planter une lumière en haut de cet Everest, si vous parviendrez à y voir ce que j’ai pu voir quand Jérôme Gillet me montrait du doigt le sommet, mais je sais au moins qu’en haut j’ai récupéré des frissons qui ne me quitteront plus. Trompe la mort.