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Ceci n’est pas une chronique.

Non. Quoi chroniquer d’ailleurs ? Pas encore d’album, « juste » ces trois chansons parues en mai 2013. Mais trois chansons d’une beauté à couper le souffle, de cette beauté pure qu’il est si difficile de décrire par des mots tant elle vous remue. Alors les chroniquer… On pourrait peut-être parler de St. Augustine, précédent projet de François-Régis Croisier, du passé donc, mais à quoi bon ? Pas sûr que l’auteur ne soit particulièrement ravi que l’on revienne sur tout cela, les histoires d’avant, ou encore d’avant, ni même d’ailleurs sur ces trois chansons déjà vieilles de plus d’un an (une éternité au XXIème siècle) comme je suis en train de le faire. Se méfier des réactions d’un type capable d’écrire un tel truc : « J’ai une nuit rêvé de deux mains sur lesquelles les mots Pain Noir étaient tatoués. Je ne sais plus à qui elles appartenaient, mais apparaissaient menaçantes et pourtant familières. Au matin l’image et ces deux mots étaient toujours là. J’ai alors su qu’il était temps pour autre chose. »

Alors pourquoi me lancer dans cette galère, cette chronique qui n’en n’est pas une ? Parce qu’il y a ces trois chansons justement, ces trois morceaux qui ne me quittent plus depuis que je suis tombé dessus. Scotchées dans ma tête, lovées mon cœur, favorisées dans mon lecteur MP3, assénées en boucle à mon entourage, ces trois chansons qui nourrissent ma tendance naturelle à l’excès et encouragent mon naturel compulsif, sont belles comme le jour qui se lève sur la plage sauvage d’une île de la Loire camouflée par les herbes hautes, un premier baiser délicat et maladroit dans les dunes, un feu de cheminée sans fin dans une maison en pierre, un grand cru inconnu à portée de main, une caresse de la peau aimée, le fou-rire de son fils. « Juste » trois chansons, mais déjà tellement importantes.

Alors d’accord, ce n’est pas une chronique, d’ailleurs je ne sais pas trop quoi raconter. Si l’on s’arrête aux images sépia, à l’ambiance légèrement désuète qui règne sur le bandcamp de Pain Noir, cela rajoute à mon trouble et à ma paralysie : je ne suis pas, je n’ai jamais été, je ne serai jamais nostalgique. D’une enfance dorée ou amère, d’un temps d’avant qui aurait peut-être été meilleur, d’ancêtres disparus, des fantômes, des non-dits, des secrets de familles, des escapades dans les bois avec une bande de cousins délurés, des virées en bord de rivière à la poursuite d’un Meaulnes ou en quête d’une fête mystérieuse, d’un âge d’or, d’un paradis perdu. Non ce n’est pas définitivement pas mon truc. Alors pourquoi diable ces trois chansons me font-elle un tel effet ? Pourquoi se sont-elles installées sur mon disque dur interne comme un satané virus, un cheval de Troie qui peu à peu contaminerait tout le reste, se déploierait jusqu’à l’obsession.

Peut-être justement parce qu’elle ne racontent pas du tout cela, qu’elles ne disent pas le passé mais le passage vers un autre espace, un autre monde, un autre temps, une vie différente, peut-être qu’elle ne racontent pas du tout ce retour en arrière, ce chemin sur nos traces, mais le parcours, le sentier vers la suite. Aller voir ce qu’il y a dans la vallée d’à côté, passer ce col que nous ne faisions que regarder jusque-là, avoir la curiosité d’explorer, de se faire surprendre. Peut-être parce qu’elles parlent de nous, de toi, de lui, de moi, de ce qui nous retient parfois, de ces îles où l’on s’enferme, de la tentation du feu. Je ne sais pas en fait, car cette écriture fine, à l’os, elliptique et pourtant douce et évocatrice de nouveaux territoires, regorge de subtilités, et probablement de mystères et de sens que je découvrirai au fur et à mesure de mes écoutes, une fois l’émotion apaisée.

Peut-être à cause de cette voix singulière, chaude, ce grain un peu vaudou sur les bords, une voix à laquelle on a envie d’obéir, ces mélodies pures, ce tempo maitrisé, cette lenteur élégante ou peut-être à cause de cette poésie qui affleure à chaque coin de chanson. Peut-être tout simplement parce que ce sont de grandes chansons, universelles et intimes, des chansons philosophales qui transforment un moment plombé du quotidien en poussière d’or. Peu importe finalement, ces chansons sont devenues des jetées, des ports, des criques, des baies où je reviens sans cesse après chaque sortie, elles sont un ancrage, une chaleur, un souffle de vie. Une respiration. Un besoin. Une respiration.

Alors non ce n’est pas une chronique mais il fallait que j’en parle. Peut-être à cause d’une peur inconsciente, nichée au fond de moi, la crainte que ces chansons merveilleuses ne disparaissent un matin sans prévenir, bug planétaire, fichiers engloutis, paroles noyées, mélodies sombrées, chansons échouées. Me réveiller sur cette île que je ne connais pas, ou aux abords de cette ville engloutie par la retenue, sans elles. Inimaginable. Laisser des traces, une empreinte d’elles.

Alors je ne veux pas me retenir, me retenir de dire mon plaisir intense à l’écoute de ces morceaux intemporels. De peur de me réveiller un jour pour voir ces trois chansons là gisant dans leur sang parce que nous n’aurons pas arrêté celui qui tenait l’arme, bref la trouille que cette magie s’arrête.

Non ceci n’est définitivement pas une chronique.

C’est une déclaration d’amour à cette musique, à cette poésie, à cette voix, à ce phrasé bouleversant, un amour fidèle à ces trois chansons, un amour inconditionnel, aveugle qui attend la suite avec impatience. Suite que je ne peux imaginer qu’étonnante et espérer bouleversante. J’ai hâte.

Alors je vous les remets, ici là, une dernière fois. Monsieur Pain Noir j’espère que vous ne m’en voudrez pas de ressasser le passé. Après, c’est promis, je vais tout faire pour passer à autre chose : l’album à venir par exemple (voir sur Microcultures : http://www.microcultures.fr/fr/proj...). Quant à vous qui connaissez déjà ces morceaux, je suppose que vous ne vous opposerez pas à une nouvelle écoute. Et si c’est votre première fois, alors sincèrement, je vous envie.

La retenue

« Au pied du barrage

Nous vivons maintenant

Et c’est comme un présage

Un fantôme inquiétant.

Ce mur qui nous menace

De noyer de sa rage le présent.

Et c’est vite oublier

De penser que naguère

Nous vivions isolés

Loin de la vie entière

Nous pouvons nous griser

Mais rien ne réanime le temps.

Et cette retenue

Encore une fois

Cette retenue

Encore une fois nous tue. »

De l’île

« À me tenir debout dans des pentes friables

J’y ai laissé mon cœur et le peu d’un genou

Qui me tenaient debout quand des amas de sable

Défilaient sous mes pieds comme des morceaux de nous.

Mais je ne laissais plus se mélanger au sable, Le ciment et la vague, l’avenir et le flou Je construisais un mur si haut que les nuages Pour se faire un passage se détournaient de nous

Mais de l’île. De l’île. »

L’arme

« Surgissant des bosquets

Et usant de son charme

Celui qui tenait l’arme

On l’a laissé filer

Omettant d’oublier

Qu’au creux de ce même arbre

Il laissait les ravages

D’un cœur un peu séché. »




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