« Les groupes de la britpop ont voulu partir à la conquête de l’Amérique et se sont plantés en beauté. Vingt ans après, ce sont les shoegazers qui ont finalement la cote aux Etats-Unis ! » Ce n’est pas moi qui l’affirme mais l’autrement plus recommandable Mark Gardener de Ride. L’auteur de « Twisterella » n’a évidemment pas tord : les actuelles formations indé US ont plus facilement tendance à citer JMC ou MBV que Menswear ou Pulp. Un constat également valable dans notre chère contrée où, s’il est de bon ton d’apprécier le nouvel album de Blur, proclamer sa filiation à l’égard de Damon / Brett / Jarvis relèverait du mensonge. En France, l’influence shoegaze est même plus sournoise qu’aux Etats-Unis. Ce n’est pas tant Kevin Shields ou les frères Reid qui façonnent aujourd’hui l’esthétique sonore des jeunes groupes tricolores, mais leur descendance nommée KVB ou Jessica 93. Le risque est grand : bâtir des accointances musicales avec des bruitistes (plutôt récents) eux-mêmes sous influences, quitte à ce que l’histoire tourne en rond…
Au moment de l’album « Automatic » (en 89), William et Jim Reid, pour évoquer le titre « Take It », parlaient d’une volonté d’intégrer des rythmes dansants à leurs compositions. Une démarche développée par le décisif « Soon » de MBV, puis le vide, l’absence, le renoncement… À l’heure où le shoegaze est devenue une référence admise et commune (jusqu’à réhabiliter les gentillets Slowdive), l’histoire repart de « Take It » et de « Soon » (ou de « Sidewalking »), mais sans volonté de pousser plus loin les assemblages du passé. Comme si depuis vingt-quatre ans, le shoegaze dansant constituait un aboutissement plutôt qu’une piste à travailler, à défricher. L’allégeance avant l’expérimentation.
« Horizons » est un bon disque de shoegaze qui ressemble à un questionnaire de Proust : si c’était un instrument, ce serait une guitare saturée ; si c’était une voix, celle-ci serait obligatoirement réverbérée jusqu’à l’abstraction… Et puis l’anglais, cette langue qui permet de se fondre dans le brouhaha et n’inquiète guère l’auditeur en cas de flou volontaire (logique shoegaze). Les mots français trouvant actuellement racine chez les apôtres d’un axe Joy Division / The Cure (citons L’Ordre d’Héloïse ou Tomek), pourquoi la langue de Molière ne collerait-elle pas aux excès slowcore ? L’allégeance, toujours. À quoi bon allier des mots français à une musique qui défouraille, et ainsi réfléchir à une production un peu différente de la moyenne, lorsqu’il est bizarrement acquis que le shoegaze, c’est en anglais et pas autrement ? La plupart des récentes sorties de « La Triple Alliance Internationale de L’Est » ont pourtant montré qu’il était possible, voire naturel, de clamer l’intime tout en faisant disjoncter les machines et crisser les grattes… Future regarde ainsi en arrière, non sans un certain savoir-faire, mais l’auditeur compulsif attend maintenant bien plus qu’un disque « à la façon de ».