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Suite à la découverte du single “Come To Your Senses”, les Rouennais de MNNQNS nous ont redonné une fièvre adolescente. Depuis combien de temps n’avions-nous pas éructé de plaisir lors d’un concert (à L’Espace B, cette année, pour un set anthologique), jusqu’à ne plus maîtriser les pulsions du corps ? Depuis combien de temps le rock français n’avait-il résonné si crade, bravache, fédérateur, et pourtant si mélodique ? Capital, nouvel EP du gang, enfonce le clou : la puissance sonore ici développée ne saurait cacher une science infuse pour le refrain qui tue, une générosité loin du m’as-tu vu. Pour tout dire, voilà maintenant trois mois que ce disque tourne inlassablement chez nous, plusieurs fois par semaine, sans lassitude aucune – ce qui est très rare.

Avant un prochain concert parisien au Supersonic (le 11 octobre), Adrian (chanteur et guitariste) se livre à l’exercice du blind test. Frère d’armes.

ADA : The Smiths “Bigmouth Strikes Again”

ADRIAN : Pas vraiment mon morceau préféré des Smiths mais les textes de Morrissey me parlent toujours autant, ça vient sûrement de cet équilibre hyper improbable entre la littérature et la crasse, un peu comme Pulp l’ont fait peu après. Et puis avoir un type aussi inventif à la six-cordes que Johnny Marr dans un groupe, ça n’a pas de prix.

ADA : The Stone Roses “Fools Gold”

ADRIAN : J’ai toujours été partagé vis-à-vis des Stone Roses. Autant toute cette avalanche de percussions et de tentatives de funk de blancs un peu flasque me laisse sceptique, autant les mecs ont cette débilité assumée qui donne envie de danser au ralenti les bras en l’air sans la moindre expression faciale. C’est tellement la classe sans pression qu’on aurait pu me faire croire que c’était un groupe australien.

Bon, et on passera volontiers les morceaux récents sous silence.

ADA : The Jesus and Mary Chain “Upside Down”

ADRIAN : Alors là impossible d’être objectif tant ce groupe me fait dérailler. Tout est parfait, tout est trop bien, ça fait saigner tes oreilles au dernier degré et pourtant les mélodies sont plus bisounours que tout ce que tu as pu entendre avant. C’est un peu comme regarder des compilations de lolcats sur Youtube pendant qu’un type fait un solo de perceuse électrique à 3cm de tes tympans. Que demande le peuple ?

ADA : The Charlatans “The Only One I know”

ADRIAN : Je ne connaissais pas. Ils ont des coupes de cheveux marrantes.

ADA : Television “Call Mr Lee”

ADRIAN : A mes 11 ou 12 ans j’ai eu un choc. En fouillant dans un grenier parmi des vinyles de Deep Purple et de Bob Marley (oui oui) je suis tombé sur Marquee Moon. L’enchevêtrement et la précision presque mystique des guitares m’ont fait complètement vriller et même si je ne comprenais pas encore toute la portée des textes de Tom Verlaine, c’est cette voix absolument chaotique qui a fini par me rendre raide dingue de Television. Pas vraiment un hasard que je mâche autant les paroles et que je joue sur des amplis Vox, donc.

ADA : Ty Segall Band “Wave Goodbye”

ADRIAN : Bien vu, c’est exactement ce morceau qui m’a accroché quand j’ai découvert Ty au Folks Blues à Binic il y a quelques années. C’était carrément la guerre sur scène et dans le public. Forcément : une sorte de version garage de Black Sabbath (sonorité crados et harmonies sataniques incluses), y’avait pas trop de raison pour que cela ne prenne pas…

ADA : Thee Oh Sees “The Dream”

ADRIAN : Encore un de mes groupes de garage préférés et un des meilleurs shows que j’ai pu voir. Ça joue vite et ça ne se pose pas de questions. En live c’est un véritable rouleau compresseur à contresens sur l’autoroute de la débilité, et les mecs se permettent même d’être forts en prod sur album. Je crois que John (mon collègue à la basse) a passé plus de temps dans les airs qu’au sol pendant leur set à la Villette Sonique...

ADA : The Go Betweens “Karen”

ADRIAN : Encore un groupe que je voulais écouter depuis longtemps et qui m’était sorti de la tête ! Comme toujours les trucs un peu mal chantés par dessus des guitares 60’s foutraques, je suis super client ; la faute au Velvet sûrement…

ADA : Pavement “Summer Babe”

ADRIAN : Typiquement le genre de groupes que je devrais aimer mais avec lequel cela ne prends pas plus que ça. C’est vrai, c’est j’m’en foutiste au plus haut point et les types sont passés maîtres dans l’art des accordages absurdes ; mais ça me fait à peu près le même effet que de me retrouver devant un navarin d’agneau après trois Big Mac. Vincent (mon collègue à la guitare) va m’égorger pour ce que je viens de dire.

ADA : The Stooges “Search and Destroy”

ADRIAN : Clairement la grosse tartine, beurrée à craquer et du genre de celles qui ne tombent pas du côté où tu les attends. C’est dingue ce groupe, tu appuies à peine sur play et tu te sens le roi du monde. Et le plus gros tour de force c’est que ça trouve le moyen de sauter à pieds joints dans la provocation gratuite tout en assénant des textes beaucoup plus réfléchis qu’ils n’en ont l’air. Respect.

ADA : The Sex Pistols “Submission”

ADRIAN : Mon morceau préféré sur l’album après “Pretty Vacant”. Un de mes groupes d’adolescence fatalement, peut-être un peu vite oublié. Mention spéciale au riff à la Billy Gibbons sorti de nulle part au refrain, c’est tellement la tempête d’attitude badass que j’en hurle presque de rire à chaque écoute.

ADA : Queens Of The Stone Age “The Lost Art Of Keeping a Secret”

ADRIAN : Je vais encore faire de mon mieux pour ne pas tenir un discours de fanboy de 14 ans sur ce morceau mais… waouh quoi !

Arriver à conserver un songwriting aussi pop alors que tu joues dans la cour des tones de guitares monolithiques, c’est aussi cool que le pari est risqué. Et puis il y a cette science du son et des arrangements chez Josh Homme qui reste un mystère complet pour pas mal de monde... Whatever you do, don’t tell anyone.

ADA : Arctic Monkeys “Crying Lightning”

ADRIAN : Super transition puisque tout l’album est produit par le grand roux cité précédemment. Probablement ma période préférée des Monkeys (prépare-toi à recevoir un appel toutes les deux semaines pour corriger ça), sans doute beaucoup plus psyché et intimiste dans les paroles et les chansons que les autres albums (les séquelles de la négligence capillaire sûrement). Et je finirais en avouant mon obsession totale pour cette facilité hallucinante à jouer avec les mots, tout ça dans cet accent du Nord de l’Angleterre qui me donne carrément des frissons. Ok, là le fanboy a parlé.

Merci à Ugo Tanguy

Artwork by Laura Bruneau