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Une fois n’est pas coutume, cette interview échappe à l’actualité. Le dernier EP de Nadj est sorti en février 2016, et son ultime album à ce jour (L’œuvre au noir) en 2012. Difficile cependant d’oublier ce rock shamanique, cette voix souvent proche de la trance, ces chansons littéralement possédées. Nadj est ailleurs (et on l’y rejoint en toute quiétude). Rock alchimiste, comme Nadège l’explique ci-dessous ? Quoi qu’il en soit, de la magie blanche… D’où l’idée de cette interview : prendre des nouvelles, tenter de mieux comprendre cette musique surnaturelle, en savoir plus. Précisons que les questions ne servent ici qu’à aiguiller le lecteur (nous aurions pu les éliminer pour ne conserver que la parole de Nadège, tant ces mots ne connaissent aucune limite). Wonderful woman.

ADA : Sur quoi travailles-tu, en ce moment ?

Nadj : Je travaille sur plusieurs projets en même temps, étant donné que je n’ai pas de calendrier, d’impératifs liés à une structure autre que la mienne, j’ai décidé de créer le plus possible et de sortir le maximum de choses au gré de mes productions. Je monte un set indie folk en solo acoustique qui s’appelle 3ofghosts (écoutable ici : https://soundcloud.com/3ofghosts).

J’ai un duo expérimental industriel bruitiste appelé ADBAN qui arrive bientôt en écoute, ça se passe en Bretagne. Avec Morgan nous faisons de la musique en live de manière concrète, sans ordinateur, avec des voix, de la guitare, des briques, du métal, des sons naturels et plein de pédales d’effets qui engendrent des sonorités vraiment étonnantes (en écoute ici : https://soundcloud.com/adbantheband ).

Je viens également d’enregistrer un album de musique libre, de guitare expérimentale, en solo avec ma gratte et mon ampli Hiwatt. Cela sortira sous le nom de UTEMMA, c’est un espace de créativité complètement libre et sauvage où je peux m’exprimer sans format, laisser libre cours à mon expression du moment. J’ai aussi un projet de CD de chants lié à ma pratique de chant vibratoire, c’est carrément un autre réseau pour développer ce projet. Et il y a le prochain album de Nadj que je commence à écrire, mais sans pression. Il y a des choses en suspend aussi, des poèmes, des écrits... qui attendent leur moment pour émerger... Ah et je reprends le dessin et la peinture aussi, autres passions !

ADA : Vers quelles sonorités ou couleurs musicales souhaites-tu aller ?

Nadj : Plus expérimentales, improvisées, bruitistes, mais aussi des ambiances profondes et méditatives avec ma voix.

ADA : Certains artistes récents (ou pas) peuvent-ils parfois t’aiguiller, t’orienter vers une optique musicale précise ?

Nadj : Il arrive que je découvre certains artistes qui rectifient mon chemin et qui tapent pile dans mon énergie du moment. Depuis quelques mois j’écoute beaucoup Emma Ruth Rundle, une américaine qui a aussi plusieurs groupes dans lesquels elle s’exprime magnifiquement. J’écoute les femmes artistes qui me parlent de mes tripes, de mes sentiments profonds et qui osent se mettre à nu sans stratégie, ce qui m’encourage à poursuivre dans cette voie.

ADA : Quel est ton rapport à la langue française ? Peut-on, dans ton cas, parler de catharsis ?

Nadj : Je vis l’écriture comme la musique, en français ou en anglais, j’aime les deux ! C’est une opportunité de s’exprimer dans la transcendance, une manière de sortir du premier degré du réalisme même si parfois des phrases peuvent être très brutes, sur un premier plan. J’aime mélanger les "degrés", perturber le mental trop figé dans son quotidien. Les apparences laissent entrevoir d’autres réalités si on déjoue l’aspect mental de la lecture, l’idée étant d’ouvrir l’esprit à une autre perception du monde. C’est comme en alchimie, travail que j’affectionne particulièrement pour sa tradition millénaire de recherche sur les aspects de la réalité, de la matière avec une dimension poétique très importante. Les alchimistes sont des poètes. Je me sens poète et alchimiste, je cherche l’or du verbe qui devient ma matière de jeu. Le plus gros du travail se passe sans écrire, par ma capacité à me laisser traverser par une autre source que "moi", alors si je suis assez réceptive, les mots se déroulent sans que je fasse barrage et l’évidence s’écrit d’elle-même, ça coule alors de source...

Parfois on reste sur des sentiments lourds, profonds et collants, puis l’écriture amène sa transmutation, réellement ! Et on voit alors toute la lumière en soi, on "se lit" et on se regarde à travers les mots qui sont là, on se rencontre comme un autre qui a surgit de nulle part. Et puis parfois on comprend un texte des années après.

C’est autant intime qu’universel car la matière première humaine est commune à tous. Les émotions, un vécu, un corps, une sublimation, une expérience. Est-ce qu’on subit sans se poser de questions sa vie ou se transforme-t-on en conscience avec ce que l’on sent, interagissant avec le monde ? Est-ce qu’on se crée soi-même dans une évolution constante, dialoguant avec l’univers ou sommes-nous des animaux primitivement réactifs ? Alors subir, créer, se transformer par l’art ? J’aime l’idée que nous sommes à la fois des créateurs et des créatures. Que ma main est dessinée par elle-même tel le dessin d’Esher. Ça fait perdre la tête... C’est un peu le but de mon expression en général, ouvrir les portes du réel, que l’art soit "trans-réel", je livre des sons et des textes, des peintures, telles que je perçois le monde. L’écriture est un chemin intime, tout comme la musique, la voix, la peinture... Mais je trouve mon intimité très universelle, au fond.

ADA : Tu sembles constamment à la recherche de nouvelles expériences sonores, ou de rencontres musicales. Le rock est-il ainsi, selon toi, un terrain d’inventions et de constantes remises en question ?

Nadj : Je ne sais pas ce qu’est "le rock" pour vous, pour d’autres. C’est un peu comme le mot "dieu" : on met ce qu’on veut dedans. Je peux juste dire ce qu’il est pour moi et ma manière de le vivre. Le rock est avant tout une vérité nécessaire, un cri au-delà des codes moraux, sociaux, des genres. Il est la vie même. Il est là pour transcender la fatalité. Il est sauvage et pourtant sa structure existe par le véhicule musical. Il y’a tellement de manière de faire du rock. En évolution, en remettant tout en question ? Ou en figeant des codes avec des sons, un look ?

Moi je trouve bien plus de rock’n’roll dans certaines musiques qui n’en sont pas. La musique bruitiste, concrète, acoustique, tout ce qui est impro, la recherche sonore, m’interpellent pour leur aspect libre et sauvage. Si c’est libre et sauvage alors c’est rock. Ça brise des schémas.

Mais on peut faire une musique aussi très classique rock, dans les codes du genre et être tellement libre et sauvage en soi que c’est alors l’artiste qui incarne le rock vivant, et la forme que prend sa musique sera imprégnée de cette énergie. Il peut alors taper sur des bambous, on s’en fout. Ce sera rock’n’roll quoi qu’il fasse.

Je ne suis pas une artiste figée, je le constate, j’ai jamais pu faire le même répertoire, j’explore et je remets en question en permanence, j’avance comme cela. On me l’a reprochée plus jeune. Aujourd’hui j’ai compris pourquoi je le faisais. Et ce que je faisais permet de ne pas se préoccuper des tendances ou de ce que les gens attendent. De toute façon, qui m’attend ? Personne. Je suis inconnue, j’ai refusé de collaborer avec les compromis donc je traverse, ailleurs. Autrement. J’ai des phases, je cogite, j’évolue, des fois je ne sais même plus pourquoi, ni comment, ni le but. Tout est remis en cause. Mais la musique a des voies impénétrables... Et un jaillissement créatif me prend et m’emmène vers de nouvelles aventures alchimiques et rock. Le prochain album sera expérimental avec une thématique sur l’électricité, je fais des recherches, j’ouvre des voies... Mais pour résumer, restons basiques avec ce refrain éternel : "it’s a long way to the top if you wanna rock’n’roll"...

Crédit photos : DR

www.nadj.fr



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