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Sorte de passage obligé pour un écouteur de disques comme moi, le Bilan est l’occasion de réaliser un instantané d’une année, sans véritable recul, mais avec l’assurance de ne pas trop en avoir honte des années plus tard, par les oublis ou les goûts très incertains.

La conception de celui de cette année aura été laborieuse dans sa mise en route, mais finira par imposer des choix face auxquels je ne vais pas trop rougir. Une première, un label entier entre dans ce classement tant celui aura imposé sa marque sur cette année musicale chez moi. Autre nouveauté un hors concours, trop neuf pour être dans le classement, trop inondé par l’émotion alors que le préjugé d’un disque d’un chanteur mort aurait pu avoir raison de ma curiosité, ici pas malsaine, juste fécond de la découverte d’un album, et pas les restes d’avant le départ définitif.

Ces albums, ces EP’s auront été mes compagnons préférés de cette année, certains le seront assurément les années à venir, et n’hésitez pas à leur faire une place chez vous.

PS : Désolé pour ceux que j’ai oublié

LP

1 Rivulets "In our Circle”

« … « In our Circle »est un disque irriguant notre peau asséchée, une œuvre où la poésie se confronte à la réalité dans un combat sans merci où au final les brèches gagnent, et c’est en leurs seins que nous nous plongerons, n’entendant plus que l’écho du dehors, un écho lointain et recouvert par celui plus vibrant d’un groupe qui signe un disque tellurique. Frisson pour la vie….. « I Was Lost When I Met You ». »

1 bis Le Label Petrol Chips

Que dire d’un label qui aura autant occupé l’espace, non pas pour ne pas laisser de la place aux autres, mais pour nous offrir des espaces de libertés artistiques que nous ne retrouvons plus guère en cette époque de standardisation de la culture (ils me font bien rire ceux qui trouvent que l’internet aura offert un espace de liberté artistique à tous…..quand vous écoutez Vianney ou Maitre Gim’s vous trouvez que c’est chouette la liberté artistique via internet ?)

N’étant pas le bastion d’un style de musique, Petrol Chips l’est d’une certaine façon d’être un artiste, transformant à l’occasion (et elles sont nombreuses) le label en un grand collectif dans lequel chacun à sa place, c’est à dire autant la sienne que celle de son voisin. Vivier d’une musique vraiment pas comme les autres, Petrol Chips par certains aspects est un écho des belles années de Lithium. Un big up pour Ray et sa troupe (ils seraient déjà d’attaque pour 2019).

Avec entre autre :

Bleu Russe « Missives d’Amour »

« Il y a également, et peut-être même surtout, un versant éminemment lumineux sur l’onirique Une ombre géante aux inflexions de dream-pop doucement hallucinée. Cette inclinaison ensoleillée tangente l’absolu romantisme sur Manowar, slow de l’été 2018 qui voit Lynhood et l’indispensable Olivier Depardon nous émoustiller, et réveiller en nous des rêves les plus moites que la voix et le charme foudroyant et irrésistible de Rouge Renarde avait déjà pour le moins titillé un peu plus tôt sur le torride Arôme cyprine, assurément un des tubes de l’année. »

Jean Michel Jarret « We Are Not Merchandise »

« Avec We are not Merchandise, Jean Michel Jarret balance la petite claque contestataire, fiévreuse et troublante qui dope la rentrée et pose un nouveau jalon pour Petrol Chips qui signe une année 2018 aussi effervescente que diaboliquement addictive. »

Olivier Depardon « Avec du Noir Avec du Blanc »

« On sait qu’Olivier a été marqué par l’album Hold/Still de Suuns, on s’aperçoit qu’il a intégré dans sa musique l’esprit d’épure propre au groupe canadien, où la batterie et le clavier occupent une place centrale, laissant se développer un thème qui prend son essor sans systématiquement passer par l’avalanche de guitares (mais ça arrive tout de même, soyez rassurés). En témoignent les titres "La lame de la nuit" (le cœur qui bat), l’instrumental "Horses" qui fait partir loin, "Le bel effort" et son riff final imparable. Plus directs, "Autopsie du foie" & "Un retour en enfer" donnent le ton dès les premières notes là où "Un mot" envoie un uppercut et renvoie aux guitares acérées libératoires post Virago, option K.O. »

Vestale Vestale & Ray Borneo « Pour Adultes et Adolescents »

« Avec cette nouvelle sortie accompagnée cette fois par Vestale Vestale, Ray Bornéosigne une nouvelle totale réussite, et claque avec son gang de doux furieux et ses dix sorties une des aventures musicales & humaines qui a enthousiasmée le cœur de la rédaction d’ADA en 2018 ! Merci & Vivement 2019 ! »

Work « It’s the Right Time »

« « It’ the right Time » est une bouteille à l’amer, un geste héroïque pour nous montrer la beauté du monde (là musical) dans une distorsion qui n’est pas sans nous rappeler que nous ne sommes ici dans un œuvre musicale qui empreinte ses codes dans une peinture souvent en avance quand il s’est agi de parler de la perdition.

Disque à l’ambition déraisonnable, mais au sens du devoir implacable. Vous allez adorer ce travail de mémoire. »

(Brisa Roché et Ray Borneo) 8 « Post Drunk Mime »

« « Post Drunk Mime » est un disque à la douce apprêtée, un disque filou (un morceau comme « Don’t Fall » en dit long sur la faculté qu’à Ray Bornéo de nous faire passer en un clin d’œil d’une forme de sauvagerie sortie de Rid of Me à une caresse indie circa 90), un disque qui démonte votre certitude de ne plus écouter de disque sorti des cendres. Les morceaux sortent telles une des épées, d’entre le marteau et l’enclume, encore rouges du feu, déjà tranchantes par son travail, possiblement assassines car l’addiction pourrait conduire à notre fin.

Un disque reçu 8 sur 8, un plaisir jamais coupable, pas comme les rochers de l’ambassadeur. A l’infini et au delà. »

3 Low « Double Negative »

« Abrasif en son début, voir totalement déroutant pour qui ne connait de Low que le disque de Noël par exemple, ce nouvel album (parlons ici de monolithe quasi insurpassable) implore notre patience et notre envie de recherche. Il ne nous regarde pas, mais semble nous décrire, façonner une image pieuse en décomposition. Low semble ici trouver la combinaison parfaite entre cette écriture particulière, un traitement sonore différent, et une interprétation qui prend aux tripes pour ne jamais vous lâcher, comme un cheval de Troie qui aurait sans envie belliqueuse, définitivement détournée vos orientations, pour un ailleurs où l’inconfort serait balayé par une proximité évidente (Fly est de ce point de vue une prouesse d’écriture et de production, où comment jamais nous perdre dans un labyrinthe sans cesse en mouvement).

Il sera difficile de faire le tour complet de ce disque, surtout à notre époque, mais il n’est pas là pour un temps donné, il est il est notre monde pour des années, et c’est une certitude que je préfère à celle du chaos probable. Chef d’œuvre. »

4 Courtney Barnett « Tell Me How You Really Feel »

« Ce disque pourrait au même titre que « Bakesale » ou « Slanted and Enchanted » se placer tout en haut d’une colonne….non j’arrête avec mes tableaux, en vous précisant en plus qu’avec un disque comme celui-ci, il est diaboliquement évident que l’on est pas prêt de faire une croix sur cette musique pas tout à fait comme les autres, mais complètement pour tout le monde, pour peut que l’on fasse abstraction de ses préjugés, et à mon âge nous en avons pleins. En amour. »

5 Michael Wookey « Hollywood Hex »

« Il faut écouter toutes ses musiciennes et musiciens s’en donner à coeur joie, partant de rien - quelques tintinnabulations, quelques craquements, quelques insultes aussi - à la conquête de l’espace, submergeant leur chanteur, lui tissant un tapis volant aux motifs modernes et inédits, une carpette inspirée sur laquelle la gravité n’a jamais pu frapper. Il faut croquer dans ce Hollywood Hex de bout en bout. Mille-feuilles sonores qui du papier d’Arménie ont la fragrance subtile et la légèreté, ces chansons s’embrasent et se consument, se consomment sans la moindre modération. Un vrai délice ! »

6 Delgado Jones « Rain Forest »

« Sa vie, des vies ne tenaient ou tiennent qu’à un fil, par ce disque Delgado Jones offre une main pour ne pas être tiré vers le sol, s’opposant de toutes ses forces. Il marquera le sol de ses empreintes appuyées pour ne pas se laisser entrainer vers un enfer dont il a foulé les terres les plus brulantes, en revenant marqué, mais gardant à l’image d’un Georges Hyvernaud revenant des camps de travail, une dignité et une force pour continuer à marcher sur notre sol qui n’est pas tout à fait un paradis. La radicalité d’un désespoir qui tente de muter en une forme de résurrection improbable. Un pari réussi, celui de croire à la vie et de la crier. Émouvant. »

7 Cat Power « Wanderer »

J’avais lâché l’affaire depuis quelque temps, retombant inlassablement sur les deux premiers albums. Et puis quand on est amoureux (oui je suis amoureux de cette belle frimousse, de sa façon de se mouvoir, de sa voix) on ne croit pas en la trahison possible, alors quand le chant de la sirène est arrivé dans mes oreilles, j’ai pris sa main et je suis parti en ballade avec elle. Croyez-le ou pas, nous ne sommes toujours pas revenus, le ciel est moins chargé qu’il y a 20 ans, nous prenons même le soleil, faisant des doigts d’honneur à la grande faucheuse

8 Vowws « Under the World »

« Dans un couloir temporel, VOWWS avance, se guidant en frottant les sons contre les parois, pouvant s’extirper en accélérant quand cela est possible (Structure of Love). Savant mélange de noirceur et de pop aiguisée et dépourvue de maquillage (Wild Wind) signe un disque comme on en fait plus, rejoignant sur ce point ce qu’Interpolavait pu faire avec son premier album, signer un classique en étant en communication plus avec le passé qu’avec ses contemporains.

« Under The World », un négatif éclatant. »

9 Alain Chanfort "le désordre des choses"

Sosie officiel du médecin de famille qui soignait mes bobos d’enfant, Alain Chamfort aura été cette année la meilleure façon pour moi de soigner le blues insidieux qui creuse à la fois le visage et qui nous rapproche du vertige de la fin. Disque admirable de bout en bout, « Le Desordres des Choses » remet tout à sa place, notamment celle de son auteur en haut de la chanson d’ici, et cela nous l’oublions trop je crois.

10 Dominique A « Toute Latitude » & « La Poésie »

Impossible de véritablement choisir entre ces deux albums, d’une année bien remplie avec deux tournées et un livre. Dominique A aurait souvent été le premier chez moi, il l’aura été encore une fois, c’est la première fois que je ratais un concert, bloqué que je fus par la révolte sociale dite des gilets jaunes (ne voyez pas chez moi un quelconque snobisme en parlant de cette révolte, c’est juste que quand ce papier sera relu en 3067 par mon 28e clone, il faudra bien redonner du sens à son nom). Une année donc avec un grand A avant un long break que Dominique semble se promettre, sauf qu’il ne faut pas nous souhaiter son absence, ce serait pour le coup trop méchant.

11 Yachtclub « Machoc »

« Avec des groupes comme Adam and the Madams et Yachtclub, la France sait vraiment se dévergonder sans écharper pour autant le cadavre faisandée d’une nouvelle scène française qui a force de prendre la pléiade pour le prochain lieu des possibles, voit son avenir scellé sous les armoires bretonnes virtuelles. YachtClub aura d’ici là déjà fait la rencontre d’un petit homme vert du nom de jean Louis qui leur apprendra à s’accorder sur une chose, le désaccord perpétuel. Cette chronique est folle, ce disque est une folie. »

12 Blaubird « Rising - La fin de la tristesse »

« Les chansons d’une infinie mélancolie se déploient dans un raffinement jamais ostentatoire, jouant avec l’ombre et la lumière, laissant percevoir par endroit le passé de chanteuse lyrique de Laure. Pas éloigné de l’univers de Watine, Blaubird ne l’est pas non plus de celui de la perfection, comme sur le divin « Cradle Song », véritable point névralgique d’un disque qui sera parvenu à ses fins, métamorphoser aussi son auditeur. Divine rencontre. »

13 Music for Eleven Instruments « At the Moonshine Park with an Imaginary Orchestra »

« Combinant orchestration à une structure pop joviale, structure acoustique aux charnières électroniques à peine visibles, mais indispensables pour tenir l’ensemble, Salvatore Suitano façonne un univers musical de rêve dans lequel il nous sera facile de rencontrer des animaux étranges, d’une histoire sans fin, d’un voyage initiatique pendant lequel le seul piège serait de croire que ce que nous écoutons est une chose réelle, alors que nous le savons tous "At the Moonshine Park with an Imaginary Orchestra " est un disque fantasmé qui ne croisera que le chemin des rêveurs, des lunaires. Enfin à cet instant j’ai beau me pincer, cela semble bien réel quand même. Prodigieux. »

14 Mermonte « Mouvement »

La force de Mermonte est de signer une musique comme des bourrasques qui ne détruiraient rien, mais construiraient. De retour avec des guets de choix (Laetitia Saddier, Dominique A) le collectif s’inscrit définitivement dans la musique d’ici, sachant manier le sabre et la mélancolie avec la dextérité d’un lanceur de couteaux esthète en poésie.

15 Ryder Havdale "Candy Haven »

« Le disque ne tombe pas pour autant dans un hermétisme émasculant le plaisir simple en témoigne par exemple le « Good Girls », un plaisir simple, sorte de titre remixe a qui nous ne reprochons qu’une chose, de se terminer rapidement. « Candy Haven » est donc un disque plaisir, un disque à la complexité accessible, qui fait sauter la mélancolie sur un dance floor à ciel ouvert non loin d’une terre chahutée par une eau bouillonnante. Addictif. »

16 Jim Yamouridis « The Other Side »

« The Other Side est un disque diabolique qui nous plonge dans des abysses de noirceur sans pour autant nous effrayer, arrivant à nous mettre dans la position préférentielle du spectateur qui assiste incrédule au spectacle d’un chanteur retrouvant le feu en réanimant les braises les plus ardentes et les plus prégnantes, celles de son âme. Jim fait un retour étonnant puisant au plus profond de son être pour renaitre. Magistrale. »

HC : Bashung « En Amont »

Sans vous racontez ma vie, mon épouse voulait m’acheter ce disque, et moi avec une forme de méchanceté que j’ai du mal à freiner, je lui ai répondu qu’il n’en était pas question, que ça sentait le truc opportuniste, patati patata. Et puis…..j’ai d’abord lu qu’Édith Fambuena était aux commandes de ce que je prenais pour un projet et pas encore comme un album (il faudra un jour rendre justice aux Valentins, groupe trop sous-estimé). Ensuite il y eut deux posts de deux personnes dont les avis comptent pour moi, Bertrand Betsch et Yan Kouton. En deux chansons qui rattrapaient la relative déception d’immortels, je basculais, achetant le disque en douce (moins facile de nos jours avec les vinyles) et fondant. Le disque prend sa légitimité déjà, car il aurait été difficile de chanter de nombreux morceaux de ce disque en étant malade. Ensuite, car il fait oublier la relative dérive d’un Bleu Petrole trop désincarné. « En amont » un disque farouchement vivant et beau.

EP

1 Ravages « Renaissance »

« Bizarrement si Exsonvaldes avait un territoire plus ouvert sur le monde, son à-côté Ravages est plutôt centré européen, ce petit coup de froid dans la nuque so british, cet usage (superbe d’ailleurs) du français comme seul langage, et cette intimité un peu plus sauvegardée très teutonne, permettent de cibler plus facilement ce groupe, de lui permettre une certaine liberté limitrophe, encerclée, certes, mais point étranglée. Alors Renaissance s’écoute (trop court, on demande plus) l’âme assise sur une chaise longue, le regard perdu dans la contemplation, la respiration calme, "Abraxas" en boucle, et puis fi de l’avare, en boucle tout le reste. Je tiens aussi à noter un petit travail de voix exquis où se retrouvent camouflées mesdames Manon Grange, Amandine chère Amandine Maissiat, Emma Broughton, Catherine Piekarec, Maud Lübeck et Dorothée Hannequin, de beaux contacts de bon gout, dénichez-les ! »

2 Les Marquises « La Tigre de Tasmanie »

« Depuis ses premiers titres, Les Marquises se construisent, ou plutôt nous construisent un univers à part, un endroit dans lequel il n’est pas facile d’entrer, mais surtout dans lequel il est ensuite impossible de sortir. « Le Tigre de Tasmanie » place Les Marquises au sommet d’une montagne, que nous tentons d’escalader avec eux, en confiance totale avec des musiciens qui ne se posent pas la question de la possible image, ils dessinent avec des notes et des lignes, un univers qu’il est inutile d’imaginer, car il nous absorbe. Fascinant. »

3 Levitation Free « The World is in Your Hands »

« "The World is in Your Hands " est un grand disque de liberté (a t’on déjà entendu en France un titre aussi puissant que " Paranoïa " sorte de road movie sur une autoroute faite d’eau) sur le bonheur unique, le seul a retenir dans ces périodes de matérialité, celui d’être en vie. Un souffle de vie. Merci »

4 Braziliers « 421 »

« Alors je ne sais pas si les vignobles hébergeurs seront les féconds producteurs d’un breuvage millésimé, mais je sais qu’ils auront déjà eu la grande générosité de faire d’une fusion entre deux groupes, l’une des rencontres les plus joyeuses qu’il nous aura été donné d’écouter cette année (à moins que "421" soit l’élément nouveau d’un vin excitant). C’est beau, c’est long en bouche, mais avec une facilité à se faire oublier pour que rapidement nous nous y remettions. Les dés sont jetés, Braziliers est mon groupe doudou de l’année que je vais caresser dans le sens du poil. »

5 Anne Dardan « Plutôt me Rendre »

« « Plutôt me Rendre » est une corde sensible, mais pas trop, nous évitant les sacs de larmes pour une nostalgie empreint d’histoire intime mais universelle ( Un Dimanche à la Mer) le tout sous une lumière tellement belle qu’elle donne une teinte aimante, même « dans une nuit blanche les habites noirs » sur l’aventureux « Les Couleurs ».

Plutôt me pendre que de ne pas l’écouter. Coup de cœur. »