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J’ai longtemps eu un rapport conflictuel avec l’accordéon. Je viens d’une famille de musiciens du côté de ma maman, et les réunions de famille se terminaient toujours avec « le piano à bretelle ». Ma maman en jouait très bien, et parmi la demi-douzaine d’instruments qu’elle maitrisait, l’accordéon avait sa préférence. Non pas par esprit de contradiction, mais par rejet du son, j’ai eu du mal avec celui-ci. La période alternative des Négresses Vertes et autre Pigalle ne changeait rien à l’affaire. Il aura fallu un concert et des disques, mais surtout un concert. En première partie de Goran Bregovic, Yann Tiersen nous faisait découvrir « Le Phare » et en plongeant dans son répertoire ancien sorti cette « Rue des Cascades ». Face à son piano avec un accordéon sur une cuisse, il entamait un morceau qui depuis me provoque un frisson et une émotion qui avec le temps devient terrible. Car à la fin de ce morceau, les yeux embués je croisais ceux de ma maman tout aussi humides, finissant par me dire une phrase qui restera entre nous deux, adoubant le Brestois.

A cet instant je savais que cet instrument pouvait m’émouvoir, me prendre aux tripes (comme chez Barbara) mais je reconnaissais aussi qu’il ne parvenait pas à m’entrainer dans une forme de modernité. Et puis est arrivé FranKendrik, disque sur lequel l’unique instrument est, mon ennemi passé, ma fêlure intime, l’accordéon. Il fallait que ce disque sorte sur un label ami pour que je m’y intéresse, m’y plonge, l’accordéon étant devenu inaudible depuis que ma maman n’est plus en capacité de me le faire entendre.

C’est avec précaution donc, et une tension intime que je finissais par me jeter à corps perdu, les oreilles apprêtées dans les douze morceaux d’un album, dont les pistes furent enregistrées il y a 14 ans. L’accordéon y est célébré dans ce qu’il a de plus traditionnel (l’entêtant Chromato Ketchup) mais surtout il fait son entrée dans la modernité sous l’impulsion des découpages, bidouillages, triturages de Frank qui en jouant avec le travail de Drik parvient à ne jamais dénaturer l’instrument, lui ouvrant des parcelles nouvelles (C’est émouvant d’entendre le mécanisme des boutons sur Mr. Frank & Dr. Drik, morceau qui nous plonge dans une version nouvelle du malfaisant théâtre des monstruosités de Elephant Man).

Cette rencontre entre l’accordéon et l’électronique est ici absolument déconcertante, car jamais les morceaux ne sont le prétexte d’une rythmique masquante, reléguant l’instrument en arrière-plan (Tech no Trad est à ce niveau un sacré coup de force). Non, c’est bien l’accordéon la vedette ici, ses sons, ses textures, mais habillés non pas comme Yvette Horner par Jean Paul Gauthier, mais comme un musicien sait rendre un hommage sans décalage à un instrument qui n’est pourtant pas de son univers proche.

Je sais que ma maman ne pourra plus rien me dire autrement qu’avec ses yeux, mais je sais qu’elle me le dirait encore, peut être pas avec les yeux humides (quoique Diatomik Bomb retourne le ventre, l’accordéon sait y faire en la matière), mais avec une pupille dilatée par le plaisir, adoubant cette rencontre. Un lien fort.




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