La décence nous interdirait d’établir un Top 2020 de nos albums favoris, par respect envers les musiciennes et musiciens en galère, envers les salles de concert fermées depuis trop longtemps. Ce serait néanmoins oublier qu’en cette période de crise aussi inattendue que spectaculaire, rarement les sorties d’albums n’avaient à ce point égayé les journées moroses, les heurts des confinements / déconfinements… Car cette année, particulièrement en France, beaucoup d’artistes, plutôt que de chercher à plomber une atmosphère déjà plombée, scrutait la lumière, un refus du négatif – ce sont vers ces phares musicaux que nous nous sommes majoritairement tournés. À croire que lorsque la bérézina tant redoutée finit par advenir, l’heure n’est plus aux atermoiements gothiques ou aux crachats punk mais, tel un mécanisme de self-défense, à une certaine recherche de l’harmonie, à l’idée qu’il faudra bien reconstruire le bordel de l’époque (et peut-être repartir sur des bases seines, sereines). Même Joseph Bertrand, sur le magnifique nouvel EP de Centredumonde, proposait en novembre dernier ses chansons parmi les plus « épanouies » ! Et que font Michel Cloup, Pascal Bouaziz et Julien Rufié sur l’album « À la ligne » si ce n’est triturer la décadence afin d’en extraire une leçon de survie ? Et que nous annonce le prochain (sublime) album de Léopoldine HH au titre explicite, « Là, Lumière Particulière », sinon la recherche d’un indispensable baume au cœur ?
De façon plus anecdotique, à titre personnel, j’avais décidé, depuis mon bilan 2018, de ne plus reconduire l’expérience. Parce qu’il faut savoir tourner la page et laisser le sang frais établir une cartographie intime bien plus légitime que la subjectivité d’un vieux con en train de radoter ses marottes de toujours, parce que la lassitude conduit parfois à mal écouter des premiers albums qui mériteraient une attention bien plus soutenue, parce que les aléas de l’existence font parfois revenir vers les fétiches d’une vie au détriment d’une relève pourtant assurée… D’où exception en 2020, manière non pas de classifier mais de remercier douze (quinze ?) artistes sans qui l’année aurait viré pour moi à un sacré capharnaüm mental. Un (non) Top sans ordre de préférence, par intitulé.
1) Trois musiciennes walkyries :
Mira Cétii – Cailloux & Météores (ArtDisto / L’autre Distribution)
Eskimo – Que faire de son cœur ? (Autoproduction)
Laetitia Shériff – Stillness (Yotanka)
2) Deux disques électro french aux vertiges de l’amour :
Brazzier – Lignes Futures (Binaire Ordinaire)
Chasseur – Crimson King (Reptile)
3) Des jeunes gens toujours modernes :
Jean-Louis Murat – Baby Love (Pias)
Pet Shop Boys – Hotspot (X2)
4) Roi et reine :
PJ Harvey – Dry Démos (Island Records)
Sophia – Holding On / Letting On (The Flower Shop Recording)
5) Des incorruptibles :
Centredumonde & Claire Redor – The Sweet Kiss EP (Autoproduction)
Churros Batiment – Dix-neuf mars (Autoproduction)
6) Les Smiths nous font toujours craquer :
Choir Boy – Gathering Swans (Dais Records)
7) Une chanson populaire :
Katy Perry – Harleys In Hawaii (Capitol Records)
8) Une réédition vinyle attendue :
Matthieu Malon – Froids (Le Village Vert / lost in music records)
9) Un album pour 2021 :
Léopoldine HH – Là, Lumière Particulière (Eh Ouais Mec Prod / Modulor)