Même avec une ambiance jazzy électro cheap, zébrée d’un synthé embrassé par une bande magnétique vieillie (Pas comme ça), ornée par le parler étonné et sensible de Gontard, oui, même avec et sans tout ça, Jean-Luc Le Ténia est présent dans cet album.
Les fantômes, qu’est-ce que c’est ? La mémoire dans la tête des vivants. Mémoire d’une présence, d’une première écoute des chansons de Jean-Luc, au détour des prémices maladroits d’un Internet timide vers 2000. Mais la mémoire, ça se fige, ça s’altère, ça se malaxe. Ça se chante aussi.
Cette vieille manie d’empiler des pierres pour toucher le ciel, y enfouir de tout petits corps putrescibles, Gontard ne la regarde ni de haut, ni d’en bas. Il s’en cogne. Il doit à Jean-Luc, à bien d’autres, et d’autres lui doivent. Ces liens, ils sont vivants. Et il n’en faut pas davantage pour décider d’enregistrer dix chansons. Dix chansons arrangées avec retenue, pour laisser toute sa place à une vision du monde, ancrée au Mans et donc universelle.
Jean-Luc Le Ténia n’a jamais écrit, jamais chanté une phrase sans la ressentir. En 2021 dans la voix de Gontard, cette nécessité n’a rien perdu de sa force, de sa fraîcheur et de cette désillusion douce qui nous font rêver à la rencontre dans le jardin d’Éden du sarthois mélancolique et d’Édouard Levé, autre grand lucide. Tous deux furent trop immenses pour les rétrécissements successifs subis depuis 40 ans, dans les imaginaires télévisants. Mais ils ont laissé ce qu’on appelle une œuvre, ce mot qui fait peur alors qu’il n’est qu’un simple travail, une activité, une action dans le monde, et laisse une trace dans la vie des autres.
Gontard est tendre, il est aussi malin : Bertrand Cantat opportunément se Belinise, quand il s’agit de cribler de plomb les petits chanteurs à la gueule de bois, ceux qui se prennent pour Lautréamont ou Tzara mais restent en dessous des blagues Carambar.
Bon, je vais réécouter Jean-Luc en V.O. Merci Gontard d’avoir installé ce désir-là.