On suit avec bonheur et ravissement les expérimentations musicales des Marquises depuis plus de dix ans maintenant et le réjouissant Lost, Lost, Lost (2010) qui avait la bonne idée de convoquer au chant Jordan Geiger ( Minus story). Pour ce cinquième disque, chez l’éclectique et exigeant label Les disques Normal, Jean-Sébastien Nouveau a limité les collaborations et les plages. Deux morceaux de presque vingt minutes chacun, avec à ses côtés la violoniste Agathe Max. Un album de rupture qui s’accompagne en live et en version numérique d’un morceau plus court : L’Ailleurs, le très beau, l’infiniment beau, dont il serait impossible de se dispenser de parler ici. Un morceau mélancolique et lumineux ou porteur d’un espoir triste et léger pourtant, des contradictions apparentes, à l’image de l’oxymore du titre de l’album. Le texte joue de ces oppositions, en attendant l’aurore, mais il y a bien l’annonce d’un gouffre, les notes pareillement peuvent sautiller quand le violon, lui, entame une mélopée. La voix est posée et les mots ne semblent pas immédiatement former des phrases, comme s’ils surgissaient à leur guise. L’Ailleurs nous enlace.
Dans le premier morceau du disque, L’Étreinte de l’aurore, il n’est plus question de mots, même si souvent les instruments chantent une longue plainte, comme un cantique, accompagnés de voix féminines célestes. On voudrait pleurer et sourire, laisser monter, laisser venir, se laisser porter, transporter, bien que naisse une appréhension, la peur que la beauté s’enraille, s’échappe. On croit nos craintes vérifiées au mitan du morceau quand apparaissent des sons nouveaux, le religieux est imperceptiblement rejoint par une autre atmosphère plus ambient, qui finit par l’avaler. La contemplation se meut en action, on passe de l’aérien au sous-marin, l’odyssée est toujours là mais évolue dans un autre élément. L’ensemble est moins clair, plus sourd, presque lancinant, inquiétant. Subrepticement, la musique a transfiguré notre univers sans que l’on mesure véritablement le moment de la bascule.
Le Sommeil du berger nous apparaît bien intranquille, joue d’abord sur un effet de stéréo, proche de l’alarme, nous sommes mis en alerte plus qu’en sommeil, éprouvés, le vent siffle, la musique comme une nature affolée, un essaim. Ici encore la partition est en évolution, les cloches, qui nous renvoient au pastoral du titre, sonnent le début d’un renouveau, d’un démarrage, on change d’imaginaire au fil des minutes, avec les percussions, la peur devient quête, marche, avancée résolue, métronomique.
Un disque qui laisse sa place à celui qui l’écoute, comme un lecteur a le loisir de rêver les visages écrits, Jean-Sébastien Nouveau développe un univers qu’il nous offre d’habiter.