Au printemps dernier, IKKI a publié un superbe recueil de photographies du Français David Nissen – nocturnes urbains emplis de solitude, à la plastique évoquant Edward Hopper et David Lynch –, accompagné d’un album composé pour l’occasion par le Japonais Akhira Sano : ainsi, Shadow’s Praise ouvre un lent dialogue entre pages à l’intrigante mélancolie (perte de repères et de certitudes, qui sont ces corps égarés, ces artefacts abandonnés sous une lumière indéfinissable ?) et plages instrumentales graphiques, alimentées de collages sonores et de vibrations organiques. Souffle et grésillements électroacoustiques amplifient la sensation cotonneuse qui se dégage de l’ensemble, parfait contraste avec les lignes pures de prises de vue hautement narratives. Le travail de David Nissen, directeur de la photographie reconnu dans le milieu du cinéma et de la publicité, par ailleurs auteur d’un certain nombre d’ouvrages très recommandables, trouve un pendant radical dans l’abstraite désorganisation architecturée par Akhira Sano, dont l’œuvre personnelle se ramifie en dessins, peintures et vidéos. Imaginez une piscine – un volume précis aux limites établies –, peignez le ciel en noir Soulages, ajoutez-y si vous le souhaitez quelques étoiles blafardes, mais peu, très peu, approchez du bord de la piscine, le carrelage sous vos pieds vous guide, vous connaissez le chemin, vous savez où vous êtes, vous vous accroupissez sur le rebord, l’eau est froide, ou tiède, difficile à dire, vous soupirez et vous laissez en hésitant glisser dans l’eau, la nuit est après tout vraiment opaque, certes vous savez que le bassin est peu profond, mais l’obscurité vous dit l’inverse, elle murmure à votre oreille que rien n’est acquis, alors pendant quelques secondes vous restez agrippé au rebord, sans trop savoir pourquoi, vous vous sentez ridicule, et puis vous décidez de vous faire confiance (cette piscine est votre piscine) et vos doigts lâchent prise et vous nagez deux mètres et alors vous réalisez que la piscine n’est plus un volume précis aux limites établies mais une possibilité d’infini, avec vous flottant au milieu de nulle-part : ode à la contemplation, Shadow’s Praise vous permettra de lier amitié avec de bien nourrissants ténèbres, ceux du réel tout autant que les vôtres.