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Chez ADA, on suit attentivement, et ce depuis le Broken Skins de 2013, la carrière du belge François Borgers aka Stigman, dont le patronyme est tiré de l’œuvre auto-fictionnelle At the mercy of a rude stream, dans laquelle le personnage Ira Stigman est le double de son auteur cabossé, entre dépression chronique et insuccès, Henry Roth étant tardivement consacré grâce à un roman publié trente ans plus tôt (Call it sleep, 1934) et à l’époque passé inaperçu, son éditeur ayant fait faillite. Éloge de la lose ? Au travers de ce nouvel album, enregistré at home, mixé en collaboration avec Thierry Robrechts et mastérisé par Dan Dacenzo (Cassius), le Namurois semble nous donner les clefs de son cheminement intellectuel. Don’t be so hard on yourself, telle est la douce conclusion de Phantom Pains qui, au-delà du questionnement sur la douleur – physique tout autant que mémorielle, en témoigne l’artwork composé d’anciennes photographies familiales –, pose les jalons d’une œuvre puisant ses références dans la culture populaire : musicale certes (boussole pointant vers les productions Sarah Records et Flying Nun Records), mais également cinématographique (utilisation de samples tirés de L’avventura et Ascenseur pour l’échafaud), littéraire (l’opus précédent de Stigman, paru en 2022, s’appelle Room with a view, coucou Edward Morgan Forster, dont le A Passage to India est un de mes romans préférés du 20ème siècle), voire vidéoludique, The Phantom Pain étant le titre du cinquième opus de la saga culte Metal Gear Solid, qui voit son héros / anti-héros sortir d’un coma et avancer, armé mais blasé, dans un monde qu’il ne reconnaît pas. En douze titres chantés en anglais d’une voix apaisée / feutrée, une voix gris-bleu, Phantom Pains fait la part belle aux mélodies éthérées, mélancoliques et néanmoins entraînantes, Stigman n’hésitant pas à user du format pop – introductions courtes, alternance de couplets dynamiques et de refrains addictifs, harmonies accessibles et ponts jamais frimeurs – pour aller à l’essentiel et maintenir une spontanéité que l’on devine sincère. Boite à rythmes discrète, motifs de guitare électrique arpégée, riffs étouffés, soli minimalistes, guitare folk, synthétiseurs survolant harmonies et grilles d’accords, Stigman fait beaucoup avec peu de moyens, grâce à une musicalité à l’os. It doesn’t help est un véritable tire-larmes, tandis que So far way from you gronde d’une tension qui jamais n’éclate (la retenue, toujours), et que Hard Rain nous renvoie vers la jangle pop de la fin des 80s, quand on remuait la tête tout en ayant le cœur brisé. Œuvre intime, intimiste et néanmoins solaire, d’un soleil bleu-gris, Phantom Pains est un album hautement recommandable, qui peint en creux l’amical portrait de son auteur et saura sans sensiblerie séduire les âmes sensibles. Puisse ne pas pour Stigman, à l’instar de Henry Roth, attendre trente ans avant de récolter des louanges méritées.