Depuis leur premier album éponyme en 2007, Ruth Rosenthal et Xavier Klaine couple franco-israélien au centre de Winter Family mêlent et confrontent leurs univers personnels, leurs origines et parcours respectifs pour former une musique sans pareil, mélange de sons, d’influences que tout semble opposer, fruit d’expérimentation sonores, vocales et linguistiques pour décrire leurs expériences et nous donner au passage une photo de l’état du monde.
Après une participation au volume 24 de nos compilations avec un titre issu de Red Sugar, Winter Family avait signé avec South From Here un « grand disque de pop expérimentale » pour citer la chronique de l’époque, disque qui s’était imposé sans problème parmi le top de la rédaction en fin d’année. Autant dire que la barre était déjà positionnée bien haute au moment où On Beautiful Days est arrivé sur nos platines.Le résultat est, sans tenter de jouer le suspens, une nouvelle fois vertigineux.
La longue ouverture tout en montée progressive de guitare à la saturation « dronesque » de sept minutes que constitue We forgot we can’t fly fascine d’entrée. Sur ce morceau, la voix susurré de Ruth vient poser un thème qui sera récurrent tout au long du disque. Celui d’une intimité où coexiste un élan vital d’espoir et une envie de liberté ( ici l’image fantasmée de l’envol) sur lequels la réalité, la menace externe vient sans cesse s’opposer. Cette même idée, également présente au centre du titre éponyme s’incarne peut-être le mieux sur When you’re 18 où la ritournelle enlevée des deux premiers tiers du morceau est stoppée dans sa légèreté par des sirènes rappelant l’imminence des bombardements et la réalité de la vie dans un pays en guerre.
Ce état des lieux politiques, cet ancrage dans le réel est également une des lignes de force du disque comme l’atteste sur une rythmique presque dub et de claviers envoûtants le sublime Daughters of Jerusalem, comme le sera à un niveau encore plus frontal avec son beat martial et ses arrangements industriels l’accusateur Europe, you are the Criminal.
Si le combat est un moteur, il n’est ici pas sans ouverture et/ou questionnement de l’altérité ( notamment sur le chaloupé His Story et son groove lancinant et dansant) où encore sur le court passage par le dancefloor aux influences arabisantes de l’intriguant Rothschild.
Cette énergie qui nourrit, qui porte, n’efface pas pour autant la fatigue, le doute, qui émergent sur Rats et sur le bouleversant Black Sun : sur ces deux titres, balades minimales et suspendues, composés autour d’un piano et d’arrangements faits de craquements, de chuintements étranges qui étirent le temps comme pour mieux faire place à la voix de Ruth Rosenthal : celle-ci atteint ici une émotion infinie au bout de l’éreintement que le texte évoque. Probablement une des plus belles chansons entendues cette année (en mode « repeat one » comme il se doit pour tout bon obsessionnel).
Si la photo du monde ( et en miroir celle de nos mondes intérieurs) que dresse le duo n’est pas toujours des plus optimistes, elle a le mérite d’être percutante, incisive et sans concession dans le fond et dans la forme. Elle n’est pas pour autant fataliste ( en témoigne en clôture du disque Nine Millions Witches imparable tube pop féministe aux claviers tourbillonnants) grâce à la capacité du groupe sans cesse renouvelée depuis ses débuts à venir nous placer parfois dans l’inconfort, à minima à la confrontation d’émotions antagonistes à questionner. On Beautiful Days permet ainsi l’éclosion d’une forme de vérité dans son accomplissement , celle de l’émergence d’un geste artistique radical et impactant à qui veut bien s’y laisser embarquer d’une beauté incandescente. Grand disque.
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