Il y a des artistes qui ne méritent pas leur époque, et il y a les époques qui ne méritent pas leurs artistes. Saint Sadrill fait partie de la seconde catégorie tant, le sextet lyonnais emmené par Antoine Mermet déroge à la règle de l’immédiateté, de la speed vacuité au profit d’une proposition artistique pour une partie rare de la population, les contemplatifs. Car il faut savoir se poser, s’installer dans un confort ultime, pour rentrer dans les œuvres tout aussi pharaoniques qu’empreintes d’une beauté implacable. Frater Crater est une œuvre massive comme celles d’Anselm Kiefer à la Monumenta de 2017 au Grand Palais pouvaient l’être, mais qui ne nous écrasent pas par le gigantisme, mais par l’émotion que l’œuvre provoque. En arrangeant ses morceaux comme des collages fins presque vertigineux, le groupe nous ensorcellent avec une grâce infinie, et le chant n’y est pas pour rien, lui se mettant au diapason d’un environnement qui ne sait pas faire dans la médiocrité, cherchant l’excellence à chaque millième de seconde. Dans une fusion pop, rock, indie, post rock, Frater Crater (second album après le déjà épatant Pierrefilant) propage sa félicité via une orgie mélodique habillée par des sons jouant le jeux de l’amour, mais pas du hasard, l’ensemble parvenant à nous extraire de cette idée cher au jazz (autre style ici présent, avec la musique contemporaine comme sur un Best Joke, reichien endiable)) que le hasard ne peut par être le fruit d’autre chose que l’instant présent. Répétant en sachant à quel moment la répétition deviendra une donnée urticante à l’écoute parfaite, Saint Sadrill se joue de nos sens, de nos prospectives (comment imaginer This Morning in The Ring autrement qu’en une fusion de plusieurs titres, sans pour autant qu’un seul stigmate de cette greffe apparaisse). Flamboyant, intriguant et totalement stimulant, ce nouvel opus de Saint Sadrill n’écrase pas la concurrence, car il n’en a pas, nous sommes dans des contrées que de rares explorateurs musicaux franchirent. Frater Crater, si je ne comprends pas sa signification, est dans mon esprit, la mélodie d’une technétronique qui serait dans la douceur d’un fracas maîtrisé. Chef d’œuvre.